Chapitre 1 : 728 jours

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Gabriel avait toujours eu des déboires avec la police, depuis son adolescence : bagarres, ivresse sur la voie publique et autres petits larcins. Alors se retrouver ici, dans le hall d'accueil des prisonniers ne le surprenait guère. Encore moins vu l'évènement qui l'avait mené à être emprisonné cette fois-ci. A force de passer entre les mailles du filet, il fallait qu'il passe à la caisse.

C'est parce qu'il avait conscience qu'il méritait d'être là et qu'il avait tout intérêt à se tenir à carreaux les deux années à venir s'il ne voulait pas croupir ici pour le restant de sa vie. Alors comme tout bon mouton de la société, ce qu'il n'était pas de base, il suivait les indications criées par les gardiens de la prison. Il retirait les vêtements de pingouin que lui avaient conseillés son avocat pour son procès. Procès auquel il avait plaidé coupable. Il remplissait un document, puis un deuxième, donnait ses empreintes digitales, pissait dans un gobelet, et se faisait tirer le portrait de face et de profil. En temps normal, quand il n'avait rien à perdre à user de sa verve, il aurait fait un commentaire sur sa beauté que même le plus médiocre des photographes ne pouvaient pas ne pas faire ressortir sur un cliché.  Il se pliait même sans rechigner à l'humiliante fouille rectale. En une heure, il se retrouvait à la fin d'une file indienne de nouveaux prisonniers qu'on guidait en direction du bâtiment B, sa nouvelle maison.

Quand ils pénétrèrent dans le bâtiment où se trouvait la petite soixantaine de cellules accueillant une centaine de détenus, le cortège fut accueillis par une huée dont les propos étaient inaudibles et inintéressants. Gabriel observait les grilles qui retenaient ces monstres de foire, ces six étages de cellules tournées en direction de l'espace central et les matons patrouillant. Sept cent vingt-huit jours. Il devait faire profil bas pendant sept cent vingt-huit jours.

Un à un, les matons les dirigèrent vers leur nouvel espace de vie. Et quel espace de vie... Une pièce de deux mètres de large pour quatre mètres de long. Trois murs sans fenêtres, une grille épaisse motorisée, deux lits couchettes, une table avec un tabouret soudé au sol, une toilette avec un évier intégré et une étagère fixée au mur. La simplicité à son paroxysme. Tout comme les objets qu'il transportait dans ses mains tatouées : une couverture chaude, un carnet, un crayon de papier, un savon à l'odeur immonde, une brosse à dents, un tube de dentifrice. Mais aussi deux pantalons, deux t-shirts, deux sweats, un blouson, trois paires de chaussettes et trois caleçons. Le summum de la mode.

Matricule n°6669. Gabriel Castiel était le dernier détenu à rejoindre sa cellule. Il se trouvait au sixième et dernier étage de ce bâtiment, dans la cellule soixante-six, la dernière de l'étage. Le maton criait le numéro de la cellule et la grille métallique s'ouvrit avec le bruit d'une sirène assourdissante et énervante, la musique de sa vie pour les sept cents jours à venir.

-       Entre.

Gabriel faisait un pas en avant dans la cellule. Il se retrouvait face à son codétenu. Il l'observait rapidement : environ un mètre soixante-quinze, maigre comme une anguille, un visage légèrement rond, des cheveux courts blonds résultat d'une décoloration qui commençait de dater vu la longueur des racines noir corbeau. Il avait les yeux verts malicieux et un sourire goguenard. Il portait la tenue obligatoire des prisonniers : un pantalon orange qu'il portait haut sur ses hanches avec un débardeur blanc qui montrait les tatouages qu'il possédait. Son regard était directement attiré par le tatouage en forme de cadenas au niveau de son cœur. Il avait les ongles colorés et des bracelets en perle multicolores semblables à ceux que font les gamins en maternel. Quand le regard de Gabriel croisait le sien, il lui souriait, le détaillait longuement de la tête aux pieds, se passant la langue sur les lèvres tout en sifflant. Gabriel serrait la mâchoire.

-       Salut beau gosse, je suis Thomas. Tu veux quelle couchette ? On peut même en partager une si tu le souhaites. Demandait-il en désignant le lit superposé.

Gabriel ne lui accordait aucun mot et à peine un regard de plus qu'il posa le carton qu'il avait en main sur la couchette supérieure et se tournait face à la grille, s'appuyant sur celle-ci et balayant du regard le bâtiment B. Sept cent vingt-huit jours.

-       Hey... Ton nom, c'est quoi ? Si tu ne me le dis pas je vais t'appeler « Daddy ». Ricanait son codétenu.

-       Gabriel.

-       Un nom d'ange pour une gueule d'ange. Tu es là pour quoi ? Laisse-moi deviner... Trafic ? Bagarres ? Demandait-il en se rapprochant dans le dos de Gabriel, il sentait l'odeur infâme du savon fourni par la prison mélangée à la sueur de son codétenu.

Gabriel fermait les yeux, essayant d'oublier le bruit incessant de ce dernier qui tentait d'attirer son attention, il espérait qu'il se lasserait face à son mutisme. Malheureusement, il n'était pas assez croyant pour que Dieu réponde à sa prière de faire taire Thomas puisque ce dernier s'approchait encore plus près de lui. Il collait son torse à son dos, passait ses bras autour de ses hanches. Ses mains baladeuses se glissèrent sous le t-shirt blanc dont il avait retroussé les manches pour caresser ses abdominaux. Gabriel se tendait quand l'une des mains qui n'étaient pas la sienne s'aventurait en direction de son pantalon. Il donnait un coup de coude dans les côtes de Thomas, se retournait et enroulait sa main autour du cou de ce dernier tout en le poussant jusqu'à ce que son dos rencontre le bureau métallique. Il serrait sa prise et vint plonger son regard perçant dans celui de son codétenu.

-       Alors on va mettre les choses au clair maintenant : tu fais ce que tu veux de ton cul dans cette prison mais tu te tiens à distance de moi où je te refais si bien le portrait que plus personne ne voudra de ton cul de chaudasse. Les règles sont simples, tu fais ta vie, je fais la mienne. Tu ne te mêles pas de mes histoires, je ne me mêle pas des tiennes. Je tire mon temps, tu fais le tien. Des réclamations ?

Thomas, qui ne pouvait pas parler, acquiesçait. Gabriel maintenait sa prise encore quelques secondes puis relâchait l'autre homme. Ce dernier portait sa main à sa nuque, cette dernière portait les marques de la main de Gabriel. Thomas massait sa glotte alors que Gabriel posait son carton sur l'étagère lui appartenant puis de se hisser sur la couchette, s'allongeant, les bras pliés sous la tête, le regard perdu sur le plafond de sa cellule, sa nouvelle télévision pour les deux années à venir.

Sept cent vingt-huit jours.


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Lcked (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant