Chapitre 16 : 419 jours (2)

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Gabriel regardait son reflet dans le miroir. C'était la première fois qu'il voyait son visage depuis dix mois. Son visage était émacié, squelettique, mangé par une barbe emmêlée qui cachait le bas de son visage et l'angle de sa mâchoire carré. Ses lèvres étaient comme inexistantes. Le haut de son visage était assombri par la frange de cheveux abîmés qui tombaient sur ses yeux en nœud. Il avait bon les repousser en arrière, le résultat était le même. Il ressemblait au SDF squattant devant la supérette au coin de la rue de chez sa mère, le bon vieux Bob, à la rue depuis trente ans. C'était ça l'effet du QHS sur un homme.

Sous le regard du gardien chargé de le surveiller comme s'il était un terroriste, il retirait les vêtements incrustés de poussière et les jetait dans la poubelle. Cela faisait dix mois qu'il portait les mêmes frocs. Il se glissait sous le jet de la douche, jurant au moment où l'eau touchait sa peau. C'était bon, putain. Il se lavait consciencieusement, utilisant la quasi-totalité du savon neuf qu'on lui avait donné. Il tentait de dompter ses cheveux et abandonnait très vite. Il allait demander à aller au coiffeur. Le gardien lui tendait une nouvelle tenue, un vrai luxe dans la prison où les prisonniers récupéraient les anciennes tenues des prisonniers sortis et devaient les mettre jusqu'à ce qu'elles rendent l'âme. Il y vit ici la courtoisie du directeur.

Il était agréablement surpris quand le gardien agréait à sa requête d'aller voir le coiffeur et le barbier. Mais il n'allait certainement pas faire une remarque au risque de perdre cette occasion. Toutefois, sur le chemin menant aux bâtiments des services, un sentiment inconnu grandissait en lui : il n'y verrait pas Thomas. Thomas était sorti de prison depuis plus de deux cents quarante jours. Et la dernière image qu'il avait de lui était son regard humide quand il s'était fait embarquer.

Ils arrivèrent devant le coiffeur, il était pris rapidement en charge. Sans faire de chichi, le prisonnier-coiffeur prenait un ciseau, il taillait dans la masse hirsute et emmêlée avant de prendre la tondeuse et de raser le crâne. Gabriel appréciait la sensation de liberté au-dessus de son crâne et le rendu ne lui déplaisait pas. Il enchainait avec le barbier. Il s'installait dans la partie salle d'attente, le regard baissé sur ses chaussures en attendant son tour. Il paniquait quand il reconnaissait la voix du prisonnier qui l'invitait à s'installer à un siège. Il relevait si vite la tête qu'il sentait sa nuque craquer. Il était presque sûr que la personne face à lui l'avait aussi entendu.

-       T-Thomas ?!

-       Salut...

-       Qu'est-ce que tu fais là ? Tu devrais être sorti !!

-       Est-ce qu'on peut en parler plus tard ?

Gabriel était décontenancé. Thomas ne devrait pas être là. Qu'est-ce qu'il faisait là ?? Pourquoi était-il toujours là ? Même s'il avait eu des jours en rabe pour x raisons, il devrait au moins être sorti depuis au moins cinq mois, si ce n'est plus. Il ferma les yeux, les rouvrant : rien n'avait changé. Thomas était bien devant lui, ses cheveux blonds délavés, ses yeux verts, sa façon bien à lui de styliser sa tenue de prisonnier. Mais qu'est-ce qu'il s'était passé ?!

-       Gabriel ? Disait Thomas pour attirer son attention.

-       O-Oui.

-       Viens.

Thomas lui attrapait la manche et le tirait en direction d'un fauteuil, celui le plus au fond, comme bien souvent. Le brun s'installait, ses yeux ne quittant à aucun moment Thomas alors qu'il préparait son matériel. Quand il venait face à lui pour commencer son œuvre, Gabriel saisissait délicatement sa main. Sa tête débordait de questions qui nécessitaient des réponses. Vite, maintenant ! Thomas lui souriait et récupérait doucement sa main. Gabriel acceptait à contrecœur qu'il n'aurait des réponses que plus tard.

Thomas était toujours aussi délicat dans sa façon de prendre soin de lui. Il étudiait l'état de la barbe de Gabriel avant d'entamer le changement. Il prenait un ciseau pour retirer le plus gros avant de s'équiper de sa lame de rasoir aiguisé. Il étendait la mousse à raser délicatement sur son visage, ses doigts s'attardant peut-être même trop mais Gabriel n'avait pas envie de lui signaler, ni qu'il arrête. Après un regard pour lui, leurs yeux s'accrochant, il faisait glisser la lame coupante sur son visage, retirant geste après geste les poils faciaux. Quand Thomas s'attaquait à sa moustache, son pouce était appuyé sur ses lèvres. Indépendamment de sa volonté, Gabriel entrouvrait ces dernières, inspirant profondément alors qu'il se sentait tout chose de ce contact. Il voyait même Thomas frissonner, probablement à cause de son souffle chaud sur la peau de son pouce. Quand il enlevait son doigt, Gabriel léchait sa lèvre et il sentait l'odeur de Thomas sur sa langue. Elle ne devrait pas le chambouler autant. Mais c'était le cas.

Thomas finissait sa tâche. Il posait la lame et prenait une serviette douce et tiède qu'il tapotait délicatement sur la peau sensible. Ce n'est que quand ce dernier s'écartait de lui, lui tournant le dos pour ramasser ses affaires que Gabriel se rendait compte qu'il avait annihilé tout ce qu'il se passait autour de lui. Le magasin était calme, beaucoup trop calme. Un regard autour de lui appris qu'il n'y avait plus personne. Depuis quand ? Il se levait du siège, remettant ses vêtements en place, sans savoir quoi faire. Il regardait en direction de l'arrière-boutique où avait disparu Thomas. Il n'y avait personne, pas même un gardien. C'était sûrement pour cela qu'il pénétrait dans la pièce. Thomas était dos à lui, penché au-dessus d'un lavabo. Il sursautait quand Gabriel arrivait dans son dos, prenant son bras pour le faire se tourner. Il se plaquait contre le meuble, le regard inquiet tandis que Gabriel laissait son corps prendre le contrôle de son cerveau. Il posait la main sur la joue de Thomas et venait l'embrasser. Le goût de ses lèvres était le même que dans ses souvenirs, la peau douce sur la sienne, lui quémandant de les faire siennes. Gabriel montait sa deuxième main à son visage et appuyait son visage contre celui du blond alors qu'il mangeait les lèvres de celui-ci. Il sentait Thomas gémir contre sa bouche, ses mains s'accrocher à lui alors qu'il glissait contre lui. Les mains de Gabriel partirent à la découverte du corps du blond. A un moment elles étaient sur ses hanches, la seconde d'après elles étaient dans ses cheveux, le décoiffant avant de revenir à sa taille pour le coller à lui. Il n'arrivait pas à se fixer, il voulait tout, maintenant.

-       Castiel ? Qu'est-ce que tu fous ? Les interrompait le gardien qui criait depuis la porte de la boutique.

Gabriel relâchait Thomas qui se rattrapait comme il pouvait au meuble. Ses lèvres étaient gonflées et rouges, ses yeux hagards. Gabriel venait recoiffer son codétenu, redresser ses vêtements qu'il avait froissé dans sa manœuvre. Il allait prendre la parole quand le gardien l'appelait à nouveau et qu'il l'entendait s'approcher de l'arrière-boutique. Il déposait un rapide baiser sur le front de Thomas avant de sortir de la pièce avant que le gardien ne puisse voir Thomas, accroché comme si sa vie en dépendait au lavabo, l'air perdu comme s'il venait de voir un fantôme. Le gardien le réprimandait mais Gabriel n'en avait cure alors qu'il passait devant, quittant la boutique. Il touchait ses lèvres, la sensation de celles de Thomas persistant. Il ne savait pas ce qu'il venait d'arriver, il ne l'avait pas anticipé ni même imaginé. Et pourtant en dix mois, il avait eu le temps d'imaginer des scénarios sur beaucoup de chose. Et il ne savait pas à quoi ça mènerait, mais pour le moment, il ne voulait qu'une chose. Il voulait goûter encore une fois aux lèvres de Thomas.

Finalement, peut-être qu'il tenait à ce mec plus qu'il ne voulait l'avouer.

Lcked (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant