Chapitre 21 : 314 jours (1)

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Gabriel était perdu dans ses pensées alors qu'il remontait dans sa cellule après une journée de travail intense. Ses mains sentaient encore le produit pour retirer la graisse, l'huile et la crasse qui salissaient ses mains six jours sur sept. Aujourd'hui était un jour comme un autre. Du moins c'est ce qu'il croyait. La vérité le frappait de plein fouet quand il arrivait devant sa cellule et qu'il découvrait Thomas en train de s'agiter à l'intérieur. Demain. Demain, il sortait. Thomas avait étalé la totalité de ses biens sur son lit, à ses pieds, une boite en plastique contenait ses tenues de prisonnier supplémentaires. Ces dernières auraient un nouveau propriétaire dès demain. Prudemment, pour ne pas déranger Thomas qui semblait perdu dans ses pensées, les mains occupées à plier ses fringues, il s'asseyait sur le tabouret soudé à la petite table de la cellule, s'appuyant contre cette dernière alors qu'il observait son codétenu ranger ses affaires. Demain. Demain, ils ne partageront plus la cellule soixante-six. Demain, le numéro six mille six cent soixante-huit serait affublé à un nouveau détenu tout beau tout frais.

-       Est-ce que tu veux la garder ? Thomas le tira de ses pensées en lui présentant le tube de crème qui avait servi à de nombreuses reprises à les rafistoler au cours de ces trois ans de cohabitation. Alors ?

-       Ouais, pourquoi pas, on sait jamais.

-       On sait jamais. Répétait Thomas en écho en posant la crème sur la table à côté du bras de Gabriel avant de reprendre sa tâche.

-       Ça fait quoi de savoir que demain tu seras un homme libre ?

-       Encore faut-il que le monde dehors ressemble à la réalité...

-       Tu sais très bien ce que je voulais dire.

-       Je le sais. Un silence s'installait entre eux, accompagné du bruit de Thomas en train de trier ses affaires.

-       Tu as quelque part où aller en sortant ?

-       Non mais j'ai économisé pendant que j'étais ici, j'ai de quoi me prendre une chambre de motel le temps de trouver une solution.

-       Tu n'as personne ? Ta famille ?

-       Je ne peux pas demander de l'aide à mes parents...

-       Pourquoi ? Ils sont... Gabriel s'interrompait avant de dire quelque chose qui pourrait blesser son compagnon de cellule.

-       Non, ils sont vivants, c'est juste que... Thomas arrêtait de faire ce qu'il faisait, ses mains tremblaient. Gabriel se redressait, inquiet. Ils ne savent pas que je suis ici, en taule.

-       Quoi ?! Comment ?

-       Je leur mens depuis quelques années déjà.

-       C'est pour ça que tu n'as pas de visites.

-       Entre autres. Je n'ai pas vraiment d'amis, j'ai juste mes parents et mes deux frangins.

-       Tes frangins, ils savent ?

-       Ils savent en partie. Gabriel n'osait pas en demander plus. Thomas avait repris son activité de pliage de vêtements. Ils restèrent silencieux jusqu'à ce que le blond ait fini et entassé ses affaires contre le mur. Il s'asseyait sur le lit, jouant avec ses doigts. Gabriel sentait qu'il allait parler, alors il lui laissait le temps. Je peux te demander un petit service ?

-       Lequel ?

-       Est-ce que tu peux me prendre dans tes bras s'il te plaît ?

-       Je... Oui.

Gabriel se levait, il rejoignait Thomas sur la couchette de ce dernier. Celui-ci s'était télescopé dans le fond de la couchette, lui laissant la place de s'allonger. Le brun obéissait sans discuter. Une fois installé à son aise, il ouvrait le bras pour inviter silencieusement Thomas à s'allonger contre lui, sa tête sur son torse. Il caressait distraitement ses cheveux en attendant qu'il reprenne la parole.

-       Merci.

-       De rien.

-       Je ne suis pas devenu une pute pour le plaisir. Mes parents sont ouvriers, ils gagnent juste de quoi vivre. Alors dès que j'ai pu, j'ai essayé de trouver du travail pour les aider. Je n'étais pas bon à l'école donc ça ne m'a pas dérangé de ne pas faire d'études mais ce n'est pas le cas de mes frangins. Gawin est un petit génie des maths, il a été accepté à Harvard. Heureusement il avait une bourse qui prenait en charge la majorité des frais mais je ne voulais pas qu'il risque son avenir en travaillant à côté alors je lui filais une partie de l'argent que je gagnais quand je travaillais dans les fastfoods ou les cafés. Sawsene était en école d'architecture. On a menti à nos parents en disant qu'elle avait une bourse pour les frais de scolarité mais en réalité je les ai payés. Mes parents payaient son loyer et moi je subvenais à ses besoins. Au début, mes trois ou quatre petits jobs suffisaient mais ils ont entamé leurs dernières années et c'était de plus en plus cher et cela ne suffisait plus. Alors j'ai commencé à coucher pour de l'argent. Je ne suis pas fier de moi pour ça mais c'est la seule richesse que j'ai... Dehors, j'avais un petit réseau et ça me permettait de vivre plutôt pas mal tout en subvenant largement aux besoins de ma famille. Gawin et Sawsene ne savent pas ce que je faisais. Ils pensent que je suis en prison parce que j'ai pas payé mes contraventions.

-       C'est courageux ce que tu as fait.

-       Tu trouves ? Pour tout le monde je suis juste une catin. Et même si je le fais pour une raison noble, ça reste vrai : je vends mon cul pour quelques billets.

-       L'avis des gens t'importent tant que ça ?

-       Non mais à cause de cette réputation, j'ai échoué à trouver certains boulots respectables car les patrons craignaient trop que j'en profite pour coucher avec tout le monde. Et je crains que ça remonte aux oreilles de mes parents... S'ils venaient à l'apprendre, je ne pourrais plus les regarder dans les yeux. Leurs fils ainés obligés de vendre son corps pour vivre... Tout ça parce qu'il n'est pas assez intelligent pour trouver un boulot honnête. Je suis déjà bien assez un échec pour eux.

-       Si toi tu représentes un échec, que devrais-je dire ?

-       Je ne pense pas que tu sois un échec, tu fais juste avec tes poings ce que la justice ne fait pas.

-       C'est mignon mais ça ne change pas la réalité.

-       Comme la raison pour laquelle je fais le tapin ne change pas le fait que je suis une pute qui écarte les cuisses ou ouvre la bouche pour qu'on y fourre une queue pour quelques billets. Le monde est mal fait mais ce n'est pas nouveau.

Gabriel se tournait légèrement pour être en mesure de regarder Thomas. Il levait la main qui ne servait pas d'oreiller à ce dernier et caressait sa joue et ses cheveux. Thomas plongeait ses yeux verts dans les siens. La main du brun glissait sur sa mâchoire puis de la pulpe de son pouce, caressait les lèvres de ce dernier. Sa main continuait de glisser sur sa gorge, s'attardant sur sa pomme d'Adam qui bougeait sous ses doigts alors que le blond déglutissait. Gabriel fondait sur ses lèvres, l'embrassant. Il s'écartait néanmoins tout de suite après, son pouce recommençant de caresser sa joue. Thomas roulait au-dessus de lui et l'embrassait avidement.

Lcked (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant