Chapitre 3 : 645 jours

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Six cent quarante cinq jours. Les jours passent mais se ressemblent tous au sein d'une prison : on se lève, appel, petit-déjeuner, promenade, appel, ennui, appel, déjeuner, appel, ennui, promenade, appel, ennui, douche, ennui, repas, appel, ennui, dormir. Et on recommence, inlassablement.

Une autre chose ne changeait pas : son codétenu. En vrai, si, quelque chose avait changé. Thomas n'avait pas récidivé dans ses tentatives de finir dans son lit, il se tenait à carreaux. En quelque sorte. Il n'avait pas changé, il était toujours la plus grosse catin du bloc B, d'autant plus que la prison avait reçu son nouveau lot de chair fraîche et potentielles victimes de Thomas Bellâtre. Gabriel devait lui reconnaître qu'il avait le chic pour convaincre même le plus hétérosexuel et machiste des prisonniers de succomber à son charme. Mais au moins, il ne le faisait plus dans la cellule soixante-six. Il avait enfin la paix. Il pouvait tirer son temps sans faire de vagues.

Quatre-vingt trois jours. C'était le nombre de jours sans une bagarre à son actif. C'était probablement sa plus grande victoire depuis son enfermement. Depuis ses quinze ans, il n'y avait eu que très peu de jours sans qu'il ne se retrouve dans une bagarre ou qu'il ne provoque une bagarre. Il n'avait promis à personne de faire acte de contrition et d'améliorer sa personnalité. Mais s'il devait tirer un enseignement de son emprisonnement, c'est qu'il était le grand perdant dans la dernière bagarre auquel il avait participé. Même s'il avait défoncé la gueule du connard qui avait tenté de violer une jeune femme à la sortie d'un bar, ce dernier était ressorti blanc comme neige de toute accusation. Il avait juste écopé d'un séjour à l'hosto pendant que Gabriel pourrissait ici. A quoi bon être un bon samaritain ? Pendant le trajet entre le palais de justice et la prison, il s'était fait deux promesses : ne plus se battre et ne plus se mêler des problèmes des autres.

C'est pourquoi, à chaque fois que Thomas revenait dans leur cellule en boitant ou en portant des marques de violences avérées, Gabriel ne disait rien. C'était le problème de Thomas, il avait choisi de fricoter avec tous ces criminels, de s'offrir à leurs vices. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, tout comme Gabriel ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même pour avoir finir entre ses quatre murs exigus. Un jour ou l'autre, il aurait fini en cabane.

Malgré tout, l'attitude de Thomas l'intriguait quand ce dernier passait la journée dans son lit, caché sous sa couverture. Gabriel ne voulait pas s'en mêler, s'il avait décidé de s'affamer c'était son problème, pas le sien. Le brun passait sa journée comme à son habitude entre ennui, lecture de livres censurés disponibles à la bibliothèque et repas infâmes. Quand il sortait de la douche ce jour-là, Thomas était déjà dans la cellule, fait extrêmement rare. Il avait l'habitude de rentrer dans la cellule à la dernière minute avant l'appel, le cul débordant du sperme d'un ou plusieurs détenu(s). Il était toujours sous sa couverture, comme ce matin, comme ce midi ou comme il l'avait laissé en allant à la douche. Gabriel faisait sa vie, ignorant son codétenu jusqu'à ce que les matons crient la fermeture des cellules jusqu'au lendemain matin. Peu de temps après la fermeture des grilles, ce sont les lumières qui s'éteignirent, plongeant le bâtiment B dans une semi-obscurité.

Il ne faisait jamais vraiment noir dans la prison. Au-dessus de chaque cellule, un boitier lumineux éclairait l'entrée des cellules, permettant aux matons de regarder rapidement dans la cellule. Le désavantage d'être au dernier niveau était également les ouvertures au plafond permettant à la lumière naturelle d'entrer la journée mais aussi la Lune la nuit. Cela ne dérangeait pas Gabriel outre mesure, il vivait dans un appartement en centre-ville où la lumière des lampadaires de la ville éclairaient sa chambre toutes les nuits. C'était toujours mieux que la lampe torche des gardiens dans la gueule de façon aléatoire, juste parce qu'ils sont des sadiques de merde.

Gabriel finissait de se brosser les dents dans la semi-obscurité, s'humidifiait le visage puis grimpait dans le lit. Il s'installait confortablement sur sa couchette, le bras posé sur ses yeux. Il n'était pas fatigué, c'était un des effets secondaires de la prison. A part dormir, ils ne pouvaient pas faire grand-chose de leurs journées, alors venu la nuit, c'était courant que les détenus souffrent d'insomnies. Par conséquent, il y avait presque autant de bruits la nuit que la journée. On entendait des détenus discuter entre eux, le bruit de crayons sur le papier, des détenus s'offrant un plaisir charnel nocturne consentis ou non. Les premières nuits, cela avait tapé sur les nerfs de Gabriel. Mais après quatre-vingt-quatre jours dans cet enfer sur Terre, il n'y faisait plus attention. Il n'en était toujours pas au point d'apprécier la « mélodie des prisonniers » mais il s'était fait à l'idée qu'il n'aurait pas d'autres musiques avant six cent quarante-cinq jours.

Sa montre digitale, autorisée par la prison, lui apprenait qu'il était presque deux heures du matin. La fatigue commençait de l'atteindre. Il détendait ses muscles et sombrait doucement dans le sommeil quand le silence, relatif, du bloc B et surtout de la cellule soixante-six était brisé par des sanglots étouffés. Gabriel ouvrait grand les yeux et tendait l'oreille. Les sanglots étaient faibles mais trop forts pour que ça vienne d'une des cent quarante cellules du bloc B. Il n'y avait donc qu'une solution : Thomas. Il n'était donc pas mort sous sa couverture. Gabriel exprimait d'un bruit de bouche son mécontentement. Il entendait Thomas essayer d'étouffer ses sanglots mais cela eut pour effet de faire trembler le lit superposé de mauvaise facture. Après quelques temps, Gabriel perdait patience.

-       Qu'est-ce qui t'arrive ?

-       R-Rien. Pardon de t'avoir réveillé.

Gabriel n'ajoutait rien. Il se tournait sur le côté, face au mur dans l'optique de se rendormir. Il était presque dans les bras de Morphée quand les sanglots de Thomas brisèrent à nouveau le silence de la cellule. Gabriel se servait de son oreiller pour se boucher les oreilles. Cela était efficace, il n'entendait plus rien mais il n'était pas tranquille pour autant. Au bout de dix minutes où son cerveau tournait à plein régime, il abandonnait ses bonnes résolutions et sautait pied du lit. Il profitait de la lumière de la Lune qui donnait directement dans leur cellule. Il y avait une masse informe sous la couverture, elle était secouée par les sanglots qu'il entendait émanant de Thomas.

-       Qu'est-ce que tu as ?

-       R-Rien...

-       Tu me prends pour un lapin de trois semaines ? Tu sanglotes comme une fillette sous ta couette. Tu n'es pas sorti de chez ton lit depuis hier soir. Soit, tu me dis ce qui ne va pas soit tu te la fermes et tu me laisses dormir.

-       Je n'ai rien à dire.

-       Tu commences à me les briser.

Gabriel se penchait sous le lit, attrapait la couette afin de tirer cette dernière mais Thomas la retint. Gabriel n'abandonnait pas, il affermissait sa prise et libérait le visage de Thomas. La lumière de la Lune ainsi que du bloc lumineux au-dessus de la porte lui permirent de voir le visage de celui-ci. Il n'y avait plus rien des expressions goguenardes et séduisantes du Thomas qui lui faisaient des avances depuis presque douze semaines. Le visage juvénile du blondinet était marqué de bleus, de coupures et des larmes de ce dernier. Gabriel tirait un peu plus sur la couette et se rendait compte que les épaules et les bras de Thomas étaient passablement dans le même état. Il relâchait légèrement sa prise sur la couverture, son codétenu en profitait pour s'emmitoufler à nouveau dedans.

-       Mais qu'est-ce qui t'es arrivé, putain ?!

Lcked (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant