Chapitre 3

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[Casimir]

Raphaël referma la porte de la maison. De l'autre côté, Casimir se résignait à aller se coucher là où Anton dormait depuis près d'une heure. Toute l'année, ils menaient des trains de vie différents et parfois un peu irréconciliables. Plus jeunes, cela n'avait pas posé de problème, mais avec le poids des années, les chemins qu'ils empruntaient tour à tour, la vie qu'ils construisaient avec la ferveur un peu aveugle des adultes en devenir, les divergences s'étaient creusées.

Désormais, il n'y avait plus que les vacances en Ardèche, cet arche intouchable que le trio avait chéri depuis l'enfance, pour les réunir.

Raphaël portait cet endroit dans son cœur autant qu'il haïssait les souvenirs qu'il y avait laissés. Pas les souvenirs des autres, d'Anton et de Casimir, mais les siens. Il haïssait que cet endroit ait connu celui qu'il avait pu être. Contrairement à lui, les maisons tantôt éparpillées, tantôt agglutinées les unes aux autres, n'avaient pas changé. Elles étaient insensibles au poids des années, à la nécessité pressante qui poussait les humains au changement. Il en avait toujours été ainsi, depuis le Paléolithique, depuis que l'homme avait formé des clans et bien avant la sédentarisation. Il fallait changer, évoluer, ou disparaître.

Le cœur de Raphaël se serra étrangement. Il s'était promis de ne pas se laisser aller à ces pensées, mais il était effrayé. Effrayé de réaliser qu'il était assez éloigné du garçon morcelé, rongé par un mal invisible, pour détester ce qu'il représentait, mais encore trop proche de lui pour être immuniser contre les spectres qui l'avaient jadis anéanti.

Raphaël consulta la montre à son poignet. Minuit quarante. Il était arrivé deux jours plus tôt dans des circonstances impossibles. Depuis, rien n'avait bougé. La fille, Wendy, était restée et lui n'avait pas bougé de l'hôtel qui n'ouvrirait qu'une semaine plus tard.

Raphaël marchait d'un pas exagérément lent sur le petit sentier. Un arbre éclipsait l'hôtel aux roses et abattait une ombre gigantesque devant Raphaël. Il gonfla les poumons pour prendre une profonde inspiration lorsque la vibration de son téléphone dans la poche arrière de son pantalon lui arracha un sursaut.

Ridicule...

L'ombre de l'arbre rampa jusqu'à lui et un froid glacial s'insinua sous sa peau. Il allongea le pas et se laissa happer par elle. Il décrocha :

- Bonsoir, père.

- Fils. J'attendais un appel de ta part.

Le regard de Raphaël s'était durci. Les lèvres pincées, il ignora le reproche qu'il reconnut dans la voix de son géniteur :

- Il y a eu un contretemps, mais je suis bien arrivé.

Raphaël n'était pas certain que son père s'y intéresse. Il n'y avait que lui pour l'appeler à une heure aussi tardive, sans crier gare et sans s'en excuser. Son fils y était trop habitué pour s'en étonner. Celui qui aurait dû être un absolu modèle pour son unique héritier finissait ses journées à une heure souvent avancée de la nuit. Lorsqu'enfant, Raphaël était tenté de le reprocher, sa mère le reprenait. Son époux travaillait sans prendre de vacances et ils leur devaient une vie plus que confortable. Dans ces circonstances, Raphaël avait vite fait de passer pour le fils ingrat et il avait ravalé ses plaintes de voir si peu son père.

Il avait fallu attendre quelques années supplémentaires pour que celui-ci s'intéresse finalement à sa progéniture. Pour qu'il voie en lui un quelconque intérêt. Pour qu'il décide de déporter ses attentes, ses immenses ambitions sur les épaules de Raphaël.

- Maman est déjà couchée ? s'enquit-il.

- Oui.

- Vous lui direz que j'ai appelé ?

Adieu, demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant