Épilogue

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[Léandre et Raphaël, parce que je suis horrible :)]

Léandre s'était réveillé avec l'aube.

Au cours de l'année qui venait de s'écouler, il avait compris qu'il existerait dorénavant des réveils plus laborieux que d'autres. Et des nuits plus agitées que d'autres.

Ce matin-là, il avait fallu à Léandre un prétexte suffisant à ne pas garder les paupières fermées. Il en possédait un.

Il s'était habillé sans se presser, comme si la sagesse de Raphaël avait fini par le contaminer. Il avait appris à profiter, que ce soit des crises de larmes ou des moments où la douleur reculait. Il s'en était voulu pour cela, pour oser abandonner un moment la peine pour la joie. Il avait cru ne pas y avoir droit et même si on le persuadait du contraire, une part de lui continuait de le penser.

Même si Raphaël, qui avait passé sa courte vie à poursuivre le bonheur, aurait été furieux de comprendre que son amant le refusait par sa faute. Non, pas par sa faute, mais en sa mémoire. Raphaël n'aurait pas aimé laisser derrière lui pareil héritage. Il aurait détesté que Léandre perde son éclat et qu'il s'enfonce dans la nuit, dans les ombres, à son image.

Léandre ne devait surtout pas suivre ses pas. Dans les premières semaines, au milieu de la culpabilité, des regrets, de la rancune, Léandre avait pensé que Raphaël s'en était peut-être allé pour cela. D'autres quittaient le lit d'amour avant l'aube pour disparaître sans laisser de trace, lui avait préféré d'autres adieux. Léandre s'était imaginé que Raphaël avait pu le quitter pour l'empêcher de basculer avec lui. En y réfléchissant, il aurait peut-être eu raison.

Sauf que les raisons de Raphaël étaient bien plus intimes et lointaines que cela. Quand Anton et Casimir étaient venus le voir, au milieu des formalités inhumaines que subissent les proches des défunts, des appels aux amis, des appels des curieux, Léandre avait eu du mal à les croire. Il avait cru qu'il s'agissait d'une simple manière de le rassurer.

Ne t'inquiète pas. Ce n'était pas toi. C'était en lui depuis longtemps, tout ça, bien avant qu'il ne tombe sur toi.

N'était-ce pas le même discours que l'on servait après un suicide aux proches endeuillés ? Toujours le même. Léandre avait douté de sa sincérité. Il avait passé des nuits entières, couché sur le dos, les larmes qui coulaient en rigole le long de ses joues, la gorge trouée par un sanglot, à visualiser leurs discussions. Avait-il loupé un message caché ? Avait-il été aveugle à la détresse de Raphaël ? Dès leur première rencontre, Léandre avait deviné que son sourire était un étendard, une façade séduisante, mais factice.

À compter de ce constat, tout était possible. Raphaël aurait-il pu être sauvé ? Devant le cercueil, non loin de la génitrice qui venait d'enterrer coup à coup son époux et son fils unique, Léandre s'était effondré.

Il avait tenu bon lorsqu'une Nayla, livide, était venue le trouver, lui avait demandé de s'asseoir et lui avait annoncé la nouvelle d'une voix blanche. Une heure plus tard, les médecins légistes prenaient d'assaut l'hôtel. Encore plus tard, dans un cortège incompréhensible, on avait annoncé que des messages avaient été trouvés dans le téléphone de Raphaël. On lui annonçait la mort de son père.

Léandre y avait pensé continuellement pendant des mots. Il s'était demandé, avec une horreur absolue qui ne tenait pas de la curiosité, comment Raphaël avait pu garder son calme.

L'heure des appels était formelle : Raphaël savait au moment où ils s'étaient séparés, sur la terrasse devant l'hôtel, que son père était décédé. Il était resté impassible. Il avait embrassé Léandre et lui avait dit « bonne nuit » avant de disparaître à l'intérieur. Il avait ensuite déposé l'enveloppe sur la petite table, une rose et avait enroulé un fil rouge autour. L'heure de la mort se situait autour de cinq heures du matin si on en croyait le discours des légistes. Raphaël avait attendu l'aube.

Adieu, demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant