[Une illustration qui représente Léandre, réalisée aux feutres à alcool]
Léandre pressa l'allure sans se retourner. Il sentait l'écho endiablé de son cœur battre contre ses tempes, comme si c'était lui que la marchande avait insulté. Le souffle court, la nuque brûlée par le soleil, il se retourna vers Raphaël.
Le principal concerné avait retrouvé son calme, à moins qu'il ne l'ait jamais vraiment perdu. Il poussa même le vice jusqu'à enfoncer ses mains dans ses poches, l'air amusé.
— On devrait aller raconter ça aux gendarmes, déclara Léandre, d'une voix étranglée.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu veux leur dire ? Qu'une vieille pie a décidé de me renvoyer à la tête quelques préjugés ?
Léandre s'était attendu à ce que la colère éclate, qu'il peste comme n'importe qui l'aurait fait, mais Raphaël ne manifesta aucune verve. Il se montra tout juste un peu las, d'une indifférence qui recouvrait quelque chose d'autre.
Quelque chose de moins beau à voir.
Un garçon fonça dans les jambes de Léandre qui faillit s'étaler de tout son long au milieu de la rue. Il s'excusa auprès de la mère qui ne prit pas la peine de répondre et éloigna sa progéniture des deux jeunes hommes.
— Ce n'est pas la première fois, admit finalement Raphaël, comme si cela suffisait à accepter tout ce que l'intolérance pouvait lui jeter à la figure.
Aux yeux des fermés d'esprit – dont l'espèce était un peu trop importante et prospère au goût de Léandre – Raphaël réunissait les pires fléaux que ce monde ait porté. Sans être ce qui était qualifié de maniéré, terme souvent peu élogieux dans la bouche de ceux qui le prononçaient, il portait des boucles d'oreille, un piercing à la narine et du vernis à ongle.
Et un homme, un vrai, ne portait rien de tout cela, pas vrai ?
— Et alors ? demanda Léandre, d'une voix où sourdait une révolte qui manquait cruellement à Raphaël.
Ce dernier haussa les épaules. Il constata rapidement que Léandre ne bougerait pas de ses positions de sitôt. La manière dont il s'affirmait plut à Raphaël, mais il se força à articuler entre ses dents, comme si cet aveu lui coûtait :
— Je suis métis, Léandre, et comme si ce n'était pas déjà assez, je suis homosexuel. Imagine ce que des gens fermés d'esprit peuvent penser d'un type dans mon genre. Imagine maintenant leur nombre et je te le donne dans le mille : j'ai l'habitude qu'on me traite différemment.
Il en avait trop l'habitude pour s'en étonner.
Léandre était persuadé qu'on ne s'habituait jamais assez pour être immunisé contre la méchanceté de ses semblables.
Il frémit et faillit laisser échapper un sourire inapproprié. Raphaël venait de faire son coming out avec un calme qu'il admirait. Ce fut comme soulager une blessure à vif, un doute affreux qui accompagnait Léandre à chaque attention que Raphaël lui réservait.
Métis et homosexuel. L'humanité ne saurait tolérer un tel crime.
— Le soleil a dû taper sur le crâne de celle-ci. Pas la peine d'en faire un drame.
Raphaël enfonça son chapeau de Léandre qui, en voulant arranger une mèche coincée devant ses yeux, effleura ses doigts. Ceux-ci tremblaient. C'était quasi imperceptible, mais cela n'échappa pas à Léandre qui reçut le sourire en coin de Raphaël comme une flèche en plein cœur.
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Adieu, demain
RomanceL'été, c'est cet instant où les erreurs sont permises. Léandre fait la rencontre d'un groupe d'amis dans un coin reculé de l'Ardèche. Coin suffisamment reculé pour l'éloigner de la présence nocive de ses parents, mais pas assez pour le débarrasse...