[Wendy]
Raphaël s'adossa au frigo et récupéra le verre d'eau qu'il avait abandonné. S'il se penchait rien qu'un peu, il apercevrait la silhouette de Léandre s'éloigner. Il aurait remarqué la manière dont il titubait et la nette claudication de sa jambe gauche. Il ne pouvait pas le forcer à rester, pas plus qu'il pouvait le retenir.
Un sourire désabusé franchit ses lèvres. Depuis combien de temps exactement n'avait-il plus eu envie de rattraper quelqu'un, de croiser sa route, de lui adresser ne serait-ce que quelques mots ? C'était paradoxal, la manière dont il avait l'impression de s'enfoncer plus profondément que jamais dans le noir, mais aussi de retrouver un semblant d'intérêt, un semblant d'excitation pour ce qui l'entourait.
Pendant des années, il avait été incapable de savourer la caresse d'une brise fraîche. Il avait été incapable d'apprécier sincèrement la présence de quiconque sans avoir l'impression qu'on lui arrachait cette joie factice. Sans savoir qu'il n'était pas heureux et qu'il se convainquait seulement de l'être.
L'espace d'un an, il avait chassé les ombres. Il avait voyagé, profité de nouveaux horizons en caressant l'espoir de s'y construire. L'appel de son père lui avait assuré qu'il avait beau s'en éloigner, les ombres le suivaient à la trace. Un pincement au cœur froissa la poitrine de Raphaël. Ne valait-il pas mieux éloigner Léandre de lui, ne serait-ce que pour le préserver ? L'autre soir, il lui avait offert son aide sans savoir s'il en était capable et il avait été plus d'une fois tenté de se raviser. Quitte à passer pour un lâche. Cela n'aurait pas été la première fois.
Face à Léandre, il avait abandonné ces beaux principes. Il l'avait approché et Léandre ne l'avait pas repoussé. Il avait même accepté de lui accorder du temps et avait assuré en avoir envie.
Raphaël aussi en avait envie. Peut-être trop pour qu'il ne prenne pas peur.
Il trempa ses lèvres dans le verre d'eau et en vida le contenu d'une grande gorgée. Il se serait volontiers éclaté le crâne contre la porte du frigo pour remettre de l'ordre dans ses pensées. Dans cette demi-mesure horripilante.
Il n'eut pas le temps de mettre son projet à exécution que Casimir fit irruption de la cuisine en trottinant. Il rafla le verre de Raphaël et prit d'assaut le robinet pour boire bruyamment. Son ami secoua la tête avec un petit sourire.
Casimir était irrécupérable et ce n'était pas faute de le lui avoir signalé.
— Il y avait un gars avec toi, déclara-t-il soudain, avec un sérieux qui prit Raphaël de court.
— Ce n'est pas une question, j'imagine.
— Tu ne nous as pas parlé de lui. On ne l'a jamais vu dans le coin, si ?
— Non, il est tombé sur une annonce sur internet. Il n'a jamais mis les pieds en Ardèche. Enfin, de ce que j'en sais.
— C'est grâce à lui que le vieux ne t'a pas encore achevé.
Raphaël s'efforçait de ne pas avoir l'air sur ses gardes. Il sentait cette tendance à basculer sur la défensive comme s'il craignait d'être pris la main dans le sac ou comme si Léandre avait besoin d'être protégé.
— Sûrement.
En réalité, il en avait bien assez fait pour Raphaël. Assez pour qu'il ait envie de lui rendre la pareille.
— Il s'appelle Léandre, lança Wendy en pénétrant dans la cuisine, le chat alangui dans ses bras.
— Le nouveau copain de Raphaël ? renchérit Casimir, en croisant les bras après avoir reposé le verre dans le lavabo qui débordait déjà de vaisselle.
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Adieu, demain
RomanceL'été, c'est cet instant où les erreurs sont permises. Léandre fait la rencontre d'un groupe d'amis dans un coin reculé de l'Ardèche. Coin suffisamment reculé pour l'éloigner de la présence nocive de ses parents, mais pas assez pour le débarrasse...