Chapitre 5

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[Anton]

Léandre resta une seconde de trop immobile, à se demander ce que Wendy pouvait attendre de lui. Avant toutefois de réaliser que cette absence de réaction le faisait passer pour un lent d'esprit et que la fille attendait une réaction de sa part, toujours accroupie devant la brèche. Le félin poussa un autre de ses miaulements déchirants, comme pour sommer Léandre de réagir.

Il préféra faire diversion :

— C'est ton chat ?

— Non, répondit Wendy, en se désintéressant de lui et en se tordant le cou pour apercevoir la boule de poils tapie à l'intérieur du mur.

Puis :

— Il n'est à personne. À Largentière, j'ai dû faire la moitié de la ville pour le rendre à son maître, mais personne l'a réclamé. Les vacances vont bientôt commencer, le bal des lâches qui abandonnent leurs animaux aussi.

— Celui-là a juste dû prendre de l'avance, compléta sombrement Léandre.

Il s'accroupit péniblement. Son genou et sa hanche gauches émirent un gémissement au moins aussi douloureux que celui du chat qui n'osait plus mettre le nez dehors. Dans ces moments, Léandre avait l'impression d'être l'un de ces vieux antiquaires qui traînaient une jambe capricieuse. Ou peut-être un homme de science, un peu savant fou sur les bords, qui avait conçu pour lui-même une jambe mécanique pas tout à fait au point. Qui grinçait à chaque changement de temps.

— Tu habites à Largentière ? supposa-t-il.

— Non, je suis de Belfort.

Une fois de plus, ses yeux noisette échappèrent à ceux de Léandre, comme si elle s'apprêtait à confier un secret honteux. Dans l'ombre agréable projetée par le flanc de l'hôtel, le jeune homme étudia son profil, de ses cils roux, à son nez droit en passant par ses lèvres d'un rose vif qui ressemblaient à un fruit trop mur. Elle était petite et les belles rondeurs de son visage rendaient son âge difficile à estimer en un regard. Elle pouvait avoir seize ans comme vingt-deux.

— Je ne suis pas une mineure en cavale, pouffa-t-elle finalement. J'ai eu dix-huit ans en février. Pas la peine de me disséquer de tes charmants yeux gris...

— Léandre, croassa l'intéressé. Ce n'était pas très...

— On s'en fiche, trancha Wendy, dans un naturel qui ne manquait pas de sensualité. Tant que tu ne te mets pas à loucher plus bas.

Les lèvres de Léandre découvrirent un sourire spontané. Cette fille lui rappelait une amie qu'il avait laissée en quittant sa ville natale, Le Mans. Il rectifia en silence : une amie qui l'avait abandonnée là-bas, car elle était partie avant lui, sans trop se soucier de ce qu'elle laissait derrière lui. Sans se demander si Léandre aurait aimé la suivre si on lui avait donné un peu plus de temps, les ressources nécessaires. Si on avait eu la patience de l'attendre.

— Aucun risque, promit Léandre.

— Oh, je vois.

Elle avait saisi le message au vol. Léandre n'était pas certain qu'il aurait réussi à l'expliquer si elle l'avait demandé. Elle aussi était surprenante, mais d'une manière tout à fait différente de Raphaël. Elle était difficile à suivre pour tout le monde et, dans ces circonstances, l'idée de ne pas la comprendre du premier coup embarrassait moins Léandre.

— Tu veux essayer de le sortir de là ? demanda-t-il finalement.

— J'aimerais l'amener chez le vétérinaire. J'ai acheté une caisse ce matin et il a dû comprendre. Il a du flair.

Adieu, demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant