Chapitre 8

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[Un petit croquis de Raphaël]

Pablo avait quitté l'étreinte rassurante des draps peu après l'aurore. Quand l'air, encore frais et agréable, chatouillait la verdure environnante. La météo avait prévu une autre journée de fortes chaleurs et le vieil homme avait dû se faire violence pour ne pas saisir l'occasion de repousser l'ouverture de l'hôtel.

Au cours de la semaine écoulée, Nayla avait gentiment repoussé toutes les excuses que son père avait essayé de se donner. Il avait conscience de sa patience. Conscience qu'elle ne la réservait à personne d'autre. Pour cette raison, Pablo avait honte de laisser sa fille se démener pour lui et cela ne faisait que renforcer son amertume.

Il se leva définitivement de son lit après avoir contemplé les larmes de lumière qui perçaient à travers les volets. Son dos gémit et il exhala une respiration capricieuse. Ce mal qui le tourmentait n'était pas celui du corps, bien qu'il s'y attaque et qu'il se déploie à la façon des maladies silencieuses, mais fatales. Ce mal, Pablo l'avait contracté à la mort de sa femme, deux ans auparavant et il le rongeait comme un cancer.

— Allez, du nerf, vieille carne, grinça-t-il en rabattant le drap qui l'avait étouffé une partie de la nuit.

Un coup d'œil pour le miroir lui arracha un renâclement digne d'un animal. Il avait l'impression d'avoir face à lui un corps humain en décomposition. Comme s'il avait été enterré aux côtés de son épouse en même temps qu'elle. Comme si le temps s'était arrêté et qu'il le vivait reclus dans son hôtel.

Son nez étroit et long, ses lunettes chaussées sur le sommet de son nez et une taille que les années tassaient. Pablo lorgna ces détails auxquels il ne prêtait plus attention. S'il n'y avait pas eu Nayla qui l'appelait toutes les semaines lorsqu'elle étudiait sur Paris et qui venait lui rendre visite aussi souvent qu'elle le pouvait, peut-être se serait-il laissé disparaître dans les entrailles de son hôtel. Il n'aurait jamais envisagé d'en rouvrir les portes seul en tout cas.

D'un geste lesté par les habitudes, inconscient et routinier, Pablo revêtit un pantalon avant d'opter pour une chemise blanche. Simple, élégante, elle lui donna de l'allure et un peu de l'énergie qui lui manquait. Il passa une main dans ses cheveux tissés de blanc et chassa la sueur qui poissait son front dégarni. Si Léandre manquait le rendez-vous et ne faisait pas un effort d'élégance, alors Pablo pourrait lui adresser une remarque faussement aigre. Nayla avait compris qu'il s'était pris d'affection pour ce gamin, de la même manière qu'il avait toujours été une figure paternelle de substitution pour tous les enfants qui avaient croisé sa route.

C'était d'ailleurs de lui qu'était venue l'idée d'adopter quand il avait découvert son infertilité sur le tard. Ses amis avaient assuré qu'il s'agissait du tort de son épouse – comme s'il s'agissait d'une faute et que celle-ci ne pouvait appartenir qu'à la femme et Pablo n'avait pas hésité à rétablir la vérité. Ces mêmes amis s'étaient figurés que l'idée d'adopter une fillette camerounaise venait d'un caprice un peu étrange auquel le vieil italien avait dû se plier. Il n'en était rien. Si son épouse avait accepté sans négociation, après qu'ils aient tous deux bien réfléchi, le projet avait été évoqué par Pablo avec son sens de l'à-propos bien à lui.

Il enterra un peu plus ces souvenirs qui refaisaient surface sans crier gare et qui aiguiser un peu plus sa nostalgie. L'heure n'était pas aux regrets, à la peine, mais au mouvement. S'il y avait bien quelque chose que Pablo avait compris au cours de ces deux années – ou plutôt que Nayla lui avait révélé – c'était que l'être immobile qui refusait d'avancer était voué à disparaître.

D'un pas lent qui mesurait toute la solennité de l'instant, Pablo descendit les marches et huma dans l'entrée la fragrance de ce qu'il avait bâti. Il ne manquait qu'elle pour s'en féliciter, pour en être fier et pour savourer le goût du devoir accompli. Le souffle du vieil homme résonnait dans la cage d'escalier. Sa gorge se noua.

Adieu, demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant