[Illustration de Raphaël, mine de plomb et posca doré]
Léandre n'aurait jamais imaginé que le calme puisse revenir.
Il s'était figuré que ce que Charly avait présenté comme un incident d'une voix grinçante, imprégnée d'une telle colère que personne ne songea à l'affubler d'une quelconque responsabilité, allait amener les invités à rentrer chez eux. Il remarqua bien vite que rien ne pourrait écourter la soirée.
Une fille minuscule appela trois autres acolytes à boire un shot à peine Maxime avait-il disparu. Le silence embarrassant, qui érigeait Wendy en bête curieuse pour la deuxième fois de la soirée, se rompit.
Les premiers spectateurs avaient fini par évacuer le salon dans des murmures équivoques et la plupart des autres avaient suivi le mouvement.
La fête n'était pas finie, n'est-ce pas ?
- Si ça ne tenait qu'à moi, je dégagerai de là cette bande d'hypocrites, avait maugréé Casimir qui ne semblait pas décidé à démordre de la soirée.
Léandre reprit son souffle. Son cuir chevelu le tiraillait un peu, mais il n'avait pas pris plus de risques que Raphaël ou que Casimir. Il avait essayé de tirer Wendy des griffes de Maxime et c'était à elle que revenait l'inquiétude générale. Quelques hypocrites l'approchèrent d'ailleurs pour lui confier qu'ils l'avaient toujours cru, qu'ils admiraient sa bravoure. Wendy ne leur tint pas tête, elle acquiesça d'un air distant et abrégea ces discussions parasites. Léandre savait qu'il n'aurait pas été doté d'un quart de son tact et de sa patiente.
Dos au mur, il observa longuement les invités. Un à un et sans détourner le regard. Leurs murmures l'indisposaient. Il avait l'impression que leur regard le blessait, lui griffait la peau et que l'hostilité n'avait pas décru au départ de Maxime. À fleur de peau, il passa sa main sur sa mâchoire délicate, remonta le long de son oreille pour presser sa pommette et se loger à hauteur de sa tempe. Une migraine y était restée accrochée.
Agglutinés autour de l'évier, un groupe entrechoquaient leurs verres pour en descendre le contenu en une gorgée. Parmi eux, il y avait Raphaël.
Une gorgée.
Léandre suivit chacun de ses gestes. Du moment où il rejeta la tête en arrière pour s'abreuver de ce baiser empoisonné à celui où il se pourlécha les lèvres.
Le goût de vodka noire restait.
Sa couleur fonçait encore ses lèvres sur lesquelles Léandre loucha avant d'assembler une pensée cohérente. Il avait l'impression que l'ivresse déplacée qui succédait à la violence le contaminait. Il avait bu et il y était si peu habitué que ses effets dénouaient un peu sa vigilance sans de soulager de l'emprise de l'anxiété.
La fille chassa de son pouce une goutte de vodka perdue à la commissure des lèvres de Raphaël. Il appuya ses dents mains contre le rebord de la cuisine pour se hisser sur le plan de travail. Léandre n'entendit pas un mot de leurs discussions, mais il vit distinctement la fille se loger entre ses jambes. Avec un naturel éblouissant. S'il avait été de mauvaise foi, Léandre l'aurait détestée. Elle ne le méritait sans doute pas, avec ses yeux rieurs et ses audaces qui semblaient la surprendre elle-même.
Le charme se rompit et, du coin de l'œil, Léandre vit qu'Anton l'approchait. Un peu plus loin, Wendy adressait un sourire fatigué à Loan. Ce dernier et Casimir semblaient s'être réconciliés, le premier saluant le courage de l'autre. Anton avait observé chacun d'entre eux avant de jeter son dévolu sur Léandre.
- Tu devrais partir, lui dit-il, en guise d'introduction.
Léandre se redressa comme si un insecte l'avait piqué et Anton s'adossa au mur à son tour. Sa tête ployait comme s'il n'arrivait plus à en supporter le poids. Il fallut à Léandre quelques secondes supplémentaires pour comprendre qu'Anton ne le chassait pas. C'était plutôt le contraire.
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Adieu, demain
RomanceL'été, c'est cet instant où les erreurs sont permises. Léandre fait la rencontre d'un groupe d'amis dans un coin reculé de l'Ardèche. Coin suffisamment reculé pour l'éloigner de la présence nocive de ses parents, mais pas assez pour le débarrasse...