[Raphaël, crayons de couleurs et crayon blanc]
— Je ne pensais pas te trouver là.
Ce serait mentir que de prétendre que l'idée d'ignorer superbement Raphaël ne traversa pas l'esprit de Léandre. En fait, il fut très tenté. Le regard rivé droit devant, il aurait imité le détachement de Raphaël avec un piètre talent. Il se demandait s'il abandonnerait son calme irritant pour tempêter au terme de quelques minutes. Léandre savait se montrer formidablement patient lorsqu'il le voulait.
La preuve, il avait enduré moqueries et remarques douloureuses pendant vingt années. Cela servait de preuve à sa résilience. Léandre était persuadé que Raphaël craquerait en premier. Il abandonnerait son indolence pour gesticuler, pour gueuler à grand réconfort de gestes des bras. Léandre songea que ce spectacle valait bien qu'il fasse la sourde-oreille une minute ou deux.
Il se ravisa.
Pas parce que Raphaël avait renoncé au calme pour vociférer des propos incohérents, mais parce qu'il n'avait jamais été aussi puéril de sa vie. Ce n'était pas le moment idéal pour commencer. Même si cela aurait pu mettre une certaine distance entre ses émotions, ce torrent qui l'aspirait sous la surface – avec un peu de chance y retrouverait-il son amant, et une réaction supposément mature.
— Je suis tombé sur la première marche des escaliers, se contenta de répondre Léandre.
Il secoua la tête. Aucune chance pour que Raphaël y croit. Sans tourner la tête vers lui, le regard toujours fixé sur un point imaginaire quelque part devant lui, Léandre se corrigea dans un haussement d'épaules :
— Je ne sais pas. J'avais sûrement envie de t'entendre t'enfoncer.
— Je n'ai aucune chance de plaider ma cause ?
— Aucune chance.
Raphaël détaillait d'un regard impudique le visage de Léandre. Il l'avait rarement vu aussi dévasté. Pourtant, aucune larme n'avait coulé le long de son visage séraphique. Le chagrin, la pâle empreinte de la trahison, était inscrite sous la peau, comme un tatouage piqueté par des aiguilles chauffées à blanc.
Raphaël se dit d'abord qu'il aurait préféré des larmes, une pointe d'hystérie. Puis il regretta cette pensée et la classa dans la catégorie « inhumain », réservée à toutes les horreurs qu'il pensait parfois, lorsqu'il était trop plein d'émotions.
Ou, plus communément, trop vide.
— Tu permets que j'essaie quand même ?
— J'ai l'air d'avoir les armes pour me défendre, ce soir ?
— Je ne m'en prends pas à un soldat à terre.
— Même quand c'est toi qui lui as planté une épée dans le dos au passage ?
Raphaël faillit sourire. Il ravala cette touche d'amusement en la trouvant au moins aussi déplacée que certaines de ses pensées. Léandre ne lui avait pas adressé l'ombre d'un regard, mais c'était peut-être mieux ainsi. Raphaël perdait le fil de ses émotions, perdu entre leur absence et un retour vif qui le laissait pantelant. Les émotions avaient leur propre langage et Raphaël avait toujours été incapable de le décoder. Même avant qu'elles ne s'éteignent en lui comme un feu qu'on aurait oublié de nourrir. Parfois, elles lui donnaient des réactions incohérentes et c'était en partie pour cette raison qu'il avait érigée cette forteresse.
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Adieu, demain
RomanceL'été, c'est cet instant où les erreurs sont permises. Léandre fait la rencontre d'un groupe d'amis dans un coin reculé de l'Ardèche. Coin suffisamment reculé pour l'éloigner de la présence nocive de ses parents, mais pas assez pour le débarrasse...