Chapitre XV : Secrets de famille

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Flanquée de Matthieu, Esther savourait la frayeur qu'elle venait de causer. Si elles avaient fait une attaque cardiaque, elle aurait probablement exulté. C'était la première fois que les jumelles voyaient un fantôme ailleurs que dans leurs rêves ou visions de cauchemar. Leur apparence était troublante et éthérée, comme si elles les apercevaient à travers un voile grisâtre, ou plutôt qu'ils étaient le voile. Des ondulations semblaient les faire osciller très légèrement, comme le souvenir d'un souffle qui n'était plus.

Ils avaient également le même aspect qu'au moment de leur mort : la robe de Esther était maculée de tâches noirâtres et miroitantes, elle-même était couverte de griffures et de morsures. Sa gorge avait été littéralement arrachée et sa main droite tentait de couvrir avec la largeur de sa manche des entrailles mises à nu et déchiquetées. Conformément à ce que le journal leur avait montré, Esther était morte encerclée par une marée humaine en proie à la folie sanguinaire. Matthieu, moins coquet ou plus pragmatique, ne cherchait pas à dissimuler ses propres blessures : la peau de son ventre béait comme un vieux rideau déchiré, l'intérieur avait été si bien arraché et broyé que l'on voyait même quelques bouts de vertèbres à travers les masses de chair.

Heureusement ou non, après les dessins qui venaient tout juste de les traumatiser à vie, les jumelles n'en étaient plus à une vision d'horreur près. Mais Esther ne faisait que commencer son petit jeu :

- Oh, vous aurais-je fait peur ? C'est fou ce que c'est fragile ces petits palpitants, un rien les détraque !

- Nos "palpitants" fonctionnent très bien merci, dit Calie d'un ton à trancher de l'acier. Quel dommage qu'on ne puisse en dire autant du vôtre !

- Je te ferai couiner dans ton sommeil, sale petite garce !

- Menacez-la encore et c'est vous qui me supplierez à genoux, répliqua Alice.

Elle n'avait aucune idée de comment mettre un fantôme à genoux, et Esther le savait parfaitement. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire vicieux et elle allait répliquer quand Matthieu intervint.

- Ça suffit ! Esther, nous ne sommes pas venus pour cela.

- Le retour du preux chevalier ! persifla-t-elle. Rappelle-moi ce que tu as fait quand moi, j'ai eu besoin de ton aide ?

- C'était mon choix et je l'assume. Quand allez-vous cesser de me harceler ?

- Jamais. Tu aurais pu me sauver, ou même tu aurais pu m'achever et m'épargner cette mort humiliante et abjecte. Au lieu de cela, tu as fui, tu m'as abandonnée pour tes précieuses petites sœurs comme le bon petit chien-chien que tu es. Tu étais pitoyable de ton vivant et tu l'es encore plus dans la mort.

Matthieu pâlit violemment de colère, donnant à son visage déjà crayeux une nuance de ciel nuageux. Les jumelles avaient profondément pitié de lui et Alice choisit de mettre un terme à la dispute en posant la seule question possible :

- Pourquoi êtes-vous ici ?

Coupée dans son élan vindicatif, Esther hésita pendant une seconde, une toute petite seconde. Suffisante pour les jumelles qui comprirent que, quelle que soit la réponse, Esther chercherait à leur mentir et à les tourmenter. Calie la prit de vitesse :

- Vous êtes ici pour Elanor et Orlane, n'est-ce pas ? A moins que ce ne soit parce que nous avons découvert tous vos sales petits secrets ?

Nouvelle hésitation. Bien, il fallait battre le fer tant qu'il était chaud.

- Nous avons lu le journal, continua Alice. C'étaient vos sœurs, n'est-ce pas ?

- Juste des cousines, marmonna Esther de mauvaise grâce.

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