Chapitre XXVIII : Ultimatum

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Le valet se tortilla sur le siège de cocher, mal à l'aise. Il n'aimait pas aller chercher les provisions avec la carriole, et il était probablement l'un des seuls à s'être réjoui qu'elles soient désormais déposées hors du village : il n'aurait plus à sentir les regards qui l'épiaient derrière les volets. On peut aisément juger de son malaise lorsque non seulement il fallut s'approcher de La Combe-Vauperle, mais en plus avec la redoutable intendante à son bord. Elle avait un regard qui ne lui disait rien qui vaille, comme si elle s'apprêtait à monter sur un ring... encore qu'elle avait souvent ce regard, notamment lors des grands nettoyages de printemps, ou des dîners avec des personnages importants. Un frisson lui parcourut l'échine : le temps était couvert, légèrement venteux, et ils se dirigeaient vers un village de fous.

Il y eut un premier arrêt au croisement juste avant les premières habitations, soit à environ cinq cent mètres du village. Là était le nouveau rendez-vous pour les victuailles... à ceci près que cette fois, il n'y avait rien à ramasser. Ni tonneau, ni cageot, ni le moindre petit panier.

- Ça par exemple, c'est trop fort ! s'indigna Clara. Pour qui se prennent-ils, faut-il qu'on les supplie par-dessus le marché ?

- Qu'allons-nous faire ? demanda anxieusement le jeune homme. Avons-nous encore de quoi manger pour quelques jours ?

- Attendez-moi ici, dit-elle. Je vais aller voir au village, cela ne devrait pas prendre trop de temps.

- Vous êtes sûre, Mme Delmotte ? Ils ne sont pas très nets là-bas, et pas plus accueillants !

- Si je suis ici, c'est que j'en suis sûre, répliqua-t-elle d'un ton sans appel.

- Voulez-vous que je vous accompagne ?

Il n'avait pas mauvais fond, mais il se mordit tout de même la langue d'avoir proposé sans réfléchir. Son soulagement fut presque comique à voir quand Clara refusa après un instant de réflexion.

- Ils sont peut-être hostiles, mais ils n'auront aucune raison de s'en prendre à une femme seule, décida-t-elle autant pour le garçon que pour elle-même. Contentez-vous de m'attendre.

- Si je ne vous vois pas revenir, j'irai chercher du secours, dit-il nerveusement.

- Enfin, inutile d'en arriver là ! Je ne monte pas sur l'échafaud !

Elle eut un sourire narquois, mais sans se le dire ils avaient tous les deux la boule au ventre. En approchant des maisons, Clara dut admettre qu'elle n'en menait pas large. Les villageois ne s'enfuirent pas à sa vue, comme cela avait été le cas pour les jumelles, néanmoins ils prirent soin de mettre une distance conséquente entre eux et l'étrangère. Dès qu'elle tournait le dos, elle devinait les yeux braqués sur elle. Un vieillard à demi avachi sur un bâton la regardait et riait d'un rire sans joie, étouffé par des poumons sur le point de rendre l'âme. Clara détourna aussitôt le regard, mais elle commençait à se sentir franchement mal à l'aise.

Comment parler à ces gens ?

Clara était une citadine dans l'âme. Or, le village était si petit qu'il n'y avait presque pas de commerces, hormis les échanges entre habitants. Ce qu'ils ne pouvaient produire eux-mêmes, les colporteurs le leur fournissaient la plupart du temps. Aucune chance donc de croiser une couturière ou une épicière moins muette que le reste des locaux, avec qui elle aurait pu prétendre faire les commérages habituels ; la taverne ne lui inspirait guère confiance non plus. Les femmes regroupées près du lavoir ignorèrent copieusement ses tentatives de salut. Même les enfants se méfiaient d'elle.

Clara en fut réduite à toquer à des portes choisies au hasard, tentant d'expliquer à travers le bois qu'elle cherchait simplement de plus amples renseignements sur la région. Dans le meilleur des cas, la personne derrière jouait les fantômes, ou répétait que les gens du manoir ne devaient plus se présenter au village. Dans le pire des cas, ce furent des invitations fermes à décamper sur-le-champ, accompagnées de raclements métalliques de mauvais augure. En désespoir de cause, elle s'approcha de ce qui lui sembla être la plus grande maison : en toute logique celle du chef du La Combe-Vauperle. C'était la seule à disposer d'un auvent, juste en face d'un grand espace circulaire qui devait servir pour les rassemblements et les fêtes... et à en juger par l'atmosphère lugubre, la dernière fête devait remonter à très longtemps. Un chêne majestueux, planté au beau milieu, étendait ses branches. C'était le seul élément à peu près réconfortant.

In MemoriamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant