Chapitre XXVI : Je l'aime

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Cette nuit encore, Gabriel avait entendu des bruits étranges venir de la chambre des jumelles. Il avait longtemps hésité, mais son inquiétude l'avait finalement emporté. A pas de loup, il sortit dans le couloir. Les portraits le rendaient nerveux, comme s'il était pris en flagrant délit d'espionnage. Il n'avait pourtant pas eu cette impression, la première fois qu'il les avait visitées en pleine nuit, et pourtant ses intentions étaient alors moins louables.

Il les avait d'ailleurs trouvées charmantes, ainsi effarouchées dans leurs fines chemises de nuit, mais il s'égarait.

Il s'approcha de la porte de leur chambre et vit de la lumière filtrer par en-dessous. Des soupirs étranglés et des plaintes s'échappaient. Un esprit dévergondé (et Gabriel, en bon gentilhomme, l'était juste ce qu'il faut) aurait eu quelques idées déplacées en entendant cela, mais il s'égarait encore.

Les cris étaient clairement apeurés. Faisaient-elles un cauchemar ? Il serait parfaitement inapproprié de rentrer dans leur chambre à cette heure. En tout bien tout honneur, il espionna donc par le trou de la serrure.

Médusé, il vit les jumelles écroulées devant la cheminée, le front baigné de sueur et les traits crispés. Elles se tenaient la main, ce qui rendait la scène à la fois touchante et encore plus navrante. Gabriel entra sans même savoir ce qu'il allait faire ensuite. Même là, il marcha sur la pointe des pieds, comme si elles ne faisaient que dormir. Peut-être était-ce le cas, pensa-t-il en voulant se rassurer, peut-être n'était-ce que du somnambulisme ? Il tenta de leur soulever la tête, leur caressa doucement les joues, dégagea les mèches collées par la sueur, sans parvenir à les réveiller. Elles n'étaient pas fiévreuses, bien au contraire : leur souffle lui-même était gelé. Voulant les mettre au lit, Gabriel tenta de les séparer, en vain. Leurs doigts s'entrelaçaient avec tant de force que le jeune homme se demanda un instant si elles ne se changeaient pas en pierre. Son inquiétude ne fit qu'augmenter.

Il n'osait pas non plus les laisser ainsi pour aller chercher quelqu'un. Cela finirait immanquablement par réveiller toute la maisonnée. Qui sait comment M. Corvey pourrait réagir ? Il était déjà bien assez malaisant. Gabriel désirait ardemment apparaître comme un protecteur aux yeux d'Alice et Calie, mais il craignait d'échouer si c'était d'elles-mêmes qu'il fallait les protéger.

Ne sachant quoi faire, il les couvrit avec des couvertures et batailla avec le feu pour raviver les flammes mourantes. Les jumelles avaient cessé de gémir et il n'entendait que leur respiration saccadée, qui faisait écho aux craquements du bois. Il se retourna et eut un coup au cœur.

Les visages d'Alice et Calie étaient crispés dans un mélange de rage et de désespoir. Si elles avaient ouvert les yeux à ce moment, Gabriel aurait été sûr de hurler, peu importe ce qu'il y aurait vu. Il se tordit les mains. Et si c'était grave ? S'il leur fallait l'aide du médecin ? S'il était déjà trop tard ?

Toujours hésitant, il se leva avec l'intention d'aller chercher Clara. Il était à deux doigts de courir dans le couloir, quand les jumelles commencèrent à étouffer, secouées de spasmes. Gabriel s'empressa de les prendre à nouveau dans ses bras. Elles se débattirent par réflexe, mais très faiblement. Leurs têtes se renversèrent en arrière, des marques infimes apparaissant sur leur cou comme si on les étranglait. Elles pesaient sur le jeune homme comme deux poids morts.

Gabriel sentit son cœur se morceler et éclater. Elles étaient en train de mourir dans ses bras.
Leurs paupières papillottèrent à toute vitesse. Gabriel les serra encore plus fort, mais elles s'affaissèrent soudain, totalement inertes et silencieuses. Il lui fallut toute sa volonté pour ne pas les laisser tomber au sol dans un accès de panique. Sans y croire, il les vit reprendre petit à petit leur souffle, tremblant légèrement. Il se tint sur le qui-vive, anxieux à l'idée de ne pas savoir s'il devait redouter ou espérer la suite des événements. Il n'entendait même plus son cœur, comme si l'organe attendait lui aussi de savoir quelle partition jouer.

In MemoriamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant