Chapitre XXXII : L'accouchement

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Le lendemain, lorsqu'elle les réveilla, Clara avait les traits si tirés qu'on aurait dit qu'elle n'avait pas dormi de la nuit. Elles-mêmes étaient affamées, car personne n'avait songé à leur apporter de quoi manger pour le dîner ; mais en voyant la tête de Clara, elles n'osèrent pas réclamer.

Tous les domestiques s'étaient enfuis avant le petit matin.

- Comment cela, enfuis ?!

- Ils ont profité de la nuit pour filer... il y a même des chevaux qui manquent à l'appel. Qu'ils veuillent s'enfuir passe encore, mais de là à voler ! soupira Clara. C'est un tel risque à prendre.

- Sont-ils partis à cause des villageois ? demanda Alice.

- S'il n'y avait que ça ! soupira derechef l'intendante en passant la main sur son visage. Beaucoup trop de choses étranges en trop peu de temps. Ils ont pris peur. Et, comme vous pouvez le deviner, votre père est fou de rage.

Le regard que Clara leur lança était juste fatigué, sans la moindre accusation, mais les jumelles comprenaient parfaitement de quoi il était question. Elles se forcèrent à ne pas baisser la tête. La fuite n'était plus une option.

- Ils vous ont parlé ? fit Calie d'une petite voix.

- Les domestiques parlent toujours, mesdemoiselles. Lorsque vous serez vous-même maîtresses de maison, vous le comprendrez très vite.

- Qu'est-ce qu'ils ont dit ?

- Tellement de choses... Le manoir leur fait peur, La Combe-Vauperle leur fait peur, votre père n'est pas en reste non plus, même si je ne devrais pas vous en parler. Et ce n'est même pas le pire ! Je m'en veux, si vous saviez !

Ses mains tremblaient. Clara, force brute de la nature, tremblait.

- Clara, dit Alice. Que s'est-il passé ?

- Les villageois se sont rebellés, révéla l'intendante d'une voix blanche. Ils disent que des démons les hantent et maudissent leurs récoltes. Ils ont exigé que nous quittions le manoir au plus tôt, ils m'ont chargé d'un message que... que j'ai trop tardé à transmettre.

- Le chef du village semblait pourtant un homme sensé ! s'exclama Calie.

- Il est mort. C'est son fils qui dirige maintenant le village, et il est loin de nous porter dans son cœur.

Cela ne pouvait pas être pire. Les jumelles imaginaient déjà une colonne de fourches et de torches en marche. L'image leur glaça le sang. Thomas les haïssait, il serait impossible à raisonner ; et si les villageois le suivaient, le manoir se retrouverait en état de siège.

- Votre père va essayer de discuter avec eux, continuait Clara. Il est parti à cheval vers le village.

Sa voix en disait long sur ce qu'elle pensait de l'opération. C'était une idée pire que mauvaise. C'était du suicide.

- Il n'est pas parti seul... n'est-ce pas ? demanda Alice avec inquiétude.

- Hélas... Avec qui vouliez-vous qu'il aille ? Il ne reste plus aucun domestique, et le jeune d'Astembert a été renvoyé chez lui. Quant à votre préceptrice, la simple couleur de ses cheveux l'a déjà condamnée aux yeux des villageois. S'ils la voient, ils vont se déchaîner.

- Il faut que nous le rejoignions !

- Hors de question ! ordonna Clara. Habillez-vous, filez à la cuisine pour manger un morceau de pain et rejoignez le médecin dans la chambre de votre mère.

- Mais, Clara !

- Il n'y a pas de mais qui tienne ! Nous n'avons pas d'autre choix que de faire confiance à votre père, et votre mère a besoin de soins. Je ne fais pas confiance à cette Mlle Everseau. Alors à partir de maintenant, vous n'êtes plus consignées. Vous êtes sages-femmes.

In MemoriamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant