Chapitre XVII : Les devoirs des jeunes filles

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Le journal leur tomba des mains. Pendant un moment, un très long moment, aucune des deux ne put prononcer le moindre mot. L'air leur manquait.

Elles venaient de mourir.

La sensation glacée leur collait à la peau, comme si elles étaient piégées dans la toile d'une araignée géante. Pendant un instant, elles ne purent ni voir, ni toucher, ni sentir, ni penser. Il ne leur restait qu'un atroce goût de sang dans la bouche.

Calie porta la main à sa tête et ne comprit pas pourquoi elle était intacte. Puis ses yeux tombèrent sur le journal. Elle l'attrapa et se rua vers la cheminée pour l'y jeter. Le feu était mourant, mais elle tisonna les braises jusqu'à en avoir mal aux bras, jusqu'à ce qu'un brasier d'enfer enveloppe les pages.

Alice, les bras croisés sur son ventre, n'osait pas bouger, comme si le moindre mouvement risquait de faire tomber ses organes et ses os. Elle regarda avidement le feu détruire le journal, jusqu'à ce que la couverture se ride et se recroqueville comme un cadavre.

Sa sœur se retourna lentement et écarquilla les yeux :

- Orla... Al... Alice ! bafouilla-t-elle en faisant un effort terrifiant pour rassembler ses souvenirs. Tu saignes !

Prise de panique, Alice loucha sur son ventre en lissant frénétiquement sa chemise de nuit dans tous les sens.

- Où ça ? Où ça ?!

- Ton nez ! Tu saignes du nez ! répéta Calie en lui tendant un mouchoir.

Alice le prit avec reconnaissance et soulagement, avant de regarder sa jumelle d'un air inquiet.

- Toi aussi, tu saignes du nez.

- Oh... évidemment, marmonna Calie en allant chercher un autre mouchoir.

Après un délicat tamponnage de narine en règle, elles soupirèrent de concert. Les choses revenaient graduellement en place dans leur mémoire, mais rien ne pourrait jamais leur faire oublier ce qu'elles venaient de subir.

- J'aurais préféré qu'elles nous parlent, comme Esther et Matthieu... fit Alice d'une toute petite voix.

- A qui le dis-tu ! Je ne sais même pas si nous sommes plus avancées maintenant...

- Matthieu nous a dit qu'elles avaient besoin de nous, mais nous ne savons toujours pas pourquoi, renchérit Alice avec amertume.

- Quand bien même, elles n'ont pas besoin de nous, elles sont mortes ! s'énerva Calie. Tous ceux qui sont mentionnés dans ce journal sont morts depuis belle lurette. Elles n'espèrent tout de même pas que nous les ramenions à la vie ?

- Il a aussi dit que nous avions un lien avec elles, continua Alice, perdue dans sa réflexion. Peut-être que nous pouvons utiliser ce lien ? Jusqu'à présent, ce sont elles qui nous ont montré des choses, mais rien ne nous prouve que c'est à sens unique, n'est-ce pas ?

Calie ouvrit la bouche et la referma, désemparée. Ce n'était pas idiot. En revanche, c'était une perspective assez angoissante, voire proprement effrayante. Un peu comme d'aller chercher le bâton pour se faire battre.

- On ne sait même pas comment faire, finit-elle par murmurer. Le journal aurait pu être utile, mais maintenant il ne servira plus à quoi que ce soit.

- Nous n'en avons peut-être pas besoin ? Elles ont vécu ici, dans cette maison et dans ces murs. Nous pourrions trouver autre chose qui nous permette de les évoquer, rappelle-toi comme Esther et Matthieu sont apparus, alors que nous regardions les dossiers sur lesquels ils ont travaillé !

Alice s'excitait de plus en plus et gesticulait en parlant. Le mouchoir tâché de sang voltigeait depuis sa main comme une colombe blessée.

- Il nous reste trois semaines, ou plutôt vingt jours à partir d'aujourd'hui. Cela nous laisse du temps !

In MemoriamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant