Elle se réveilla en sursaut, comme si elle avait fait un cauchemar. Mais impossible de s'en souvenir. Elle avait mal partout aussi, comme si elle était couverte de bleus ; son ventre en particulier irradiait de douleur. Mais ce qui l'effraya le plus fut de ne pas se souvenir de son nom.
Elle reconnaissait l'endroit où elle se trouvait. Une chambre. Sa chambre.
Sur le lit placé de l'autre côté de la pièce par rapport au sien, il y avait une autre jeune fille, dont elle savait qu'elle était son portrait craché. C'était sa... sa quoi déjà ?
Elle fit un effort de concentration. Jumelle ! Sœur ! Mais comment s'appelait-elle ?
La jumelle était réveillée elle aussi, et elle avait l'air tout aussi confuse et perplexe. Hésitantes, elles se regardèrent, des questions plein les yeux et dans chaque geste.
Un doigt sur le cœur. Sais-tu comment je m'appelle ?
Mouvement de tête. Non, je ne sais pas. Et moi, le sais-tu ?
Non plus.
Elles sentaient bien que c'était important, vital même. Que leurs noms ne devaient jamais être perdus, quand bien même tout le reste devait disparaître. Plus elles cherchaient, plus elles avaient l'impression que tout se mélangeait dans leur tête, comme une tempête de cartes à jouer.
Le vertige leur brouillait l'esprit. Soudain, elles virent en même temps un journal posé devant la cheminée. Étrange. Appartenait-il à l'une d'elles ? Elles croyaient le connaître, et en même temps éprouvaient de la répugnance à l'idée de le saisir. Ces deux tensions n'étaient cependant rien à côté d'une autre idée : ce journal avait brûlé. Il n'aurait pas dû être là.
La deuxième jumelle avait un gros bleu sur la joue, qui prenait la forme de trois traits verticaux, comme si on l'avait griffée. C'était Manéa. Elle avait aussi les yeux rouges car elle avait pleuré. Elles avaient toutes les deux pleuré. Elles s'étaient aussi promis de toujours rester ensemble.
- Alice ?
- Calie !
Tout leur revint comme si on avait fait sauter un bouchon de champagne. Elles étaient dans l'Errance, avec Manéa. Elles étaient parvenues à un accord, un horrible accord, jusqu'à ce que quelque chose les fasse revenir dans leurs corps. Mais qui ?
- Enfin, vous émergez ! s'écria une voix dans leur dos.
Elles firent volte-face pour croiser les regards furibonds d'Elanor et Orlane.
- C'est vous qui nous avez ramenées... pourquoi ?! s'exclama Alice.
- Comment avez-vous pu nous infliger ça ? balbutia Calie, encore sous le choc d'avoir été "vampirisée" à nouveau.
- Avez-vous la moindre idée de la stupidité de votre acte ? fit Orlane d'une voix tranchante comme un rasoir.
- Comment avez-vous pu croire une seule seconde que jouer les martyrs allait résoudre les choses ? s'emporta Elanor.
- Nous avons fait cela pour essayer de vous protéger tous ! répliqua Alice sur le même ton. Manéa est trop puissante pour nous, il n'y avait aucune autre solution.
- Elle va croire que nous avons voulu rompre le marché, paniqua Calie, vous devez nous laisser y retourner !
- Ha ! La belle affaire ! ricana une autre voix.
Esther et Matthieu apparurent à l'emplacement où, auparavant, se trouvait le journal. Matthieu avait l'air sombre, plus triste encore que de coutume ; quant à Esther... la haine suintait par tous ses pores, à tel point que la chaîne la reliant à son fiancé se colorait de rouge vermillon. Elle attrapa Alice et Calie par le scalp et cracha ses mots tout près de leur visage.
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In Memoriam
HorrorFrance, milieu du XIXe siècle. Elles avaient déjà lu des dizaines d'histoires de fantômes, persuadées d'être en sécurité, inséparables. Elles ne s'attendaient certainement pas à en vivre une. Lorsque la famille Corvey emménage dans un vieux manoir...