Chapitre XXXIV : Berceuse

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Bien qu'elle ne laissât personne s'en apercevoir, Julia Everseau piaffait d'impatience. Assister à l'accouchement, supporter le chagrin, endiguer toute trace de culpabilité jusqu'à les tenir tous à sa merci. En particulier les jumelles.

Discrète pendant les heures cruciales, laissant les drames s'accomplir sans intervenir, exécutant les ordres et attendant son heure. Le moment était venu, elle pouvait sentir l'excitation de l'autre comme une montée d'adrénaline. Il était cependant impératif qu'elle reste maîtresse d'elle-même jusqu'à la toute fin, elle ne pouvait se permettre de laisser ses émotions prendre le dessus ; elles pourraient la pousser à commettre une erreur... ou à se laisser attendrir. Après, peut-être. Une fois que tout serait fini, elle s'autoriserait à ressentir ces choses.

Lorsqu'on lui confia les jumelles et le bébé, elle assura d'une voix forte :

- Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.

Ainsi, elle ne proférait aucun mensonge. Elle détestait la trahison et faisait de son mieux pour, au moins, toujours dire la vérité. Les autres avaient choisi de comprendre ce qui les arrangeait. Personne ne la mit en doute. Pas même Alice et Calie, qui pourtant avaient commencé à se méfier d'elle après son brusque revirement.

Elle avait été maladroite, mais sans pouvoir s'en empêcher. Dès l'instant où elle avait su, son dégoût et sa rage avaient été tels que le simple fait de ne pas les couvrir d'injures avait mobilisé toute sa volonté. Pas après pas, elle les suivit dans la cuisine, dissimulant le couteau dans sa manche. Elle ferma la porte, le bruit du loquet résonnant à ses yeux comme le chien d'un pistolet qu'on arme.

- Il vaudrait mieux laisser la porte entrebâillée, fit Alice. Nous ne pouvons pas nous permettre de manquer l'occasion de nous enfuir.

- Devons-nous vraiment les laisser derrière ? objecta Calie. Il y a forcément quelque chose que nous pouvons faire, réfléchis, Alice !

- Vous n'avez pas à vous en faire pour ça, dit doucement Julia.

Les jumelles ne réagirent pas assez vite. Les immenses mèches noires s'enroulèrent soudain autour de leurs membres et les soulevèrent de terre comme si elles n'avaient été que de vulgaires poupées de chiffon. Le bébé leur fut arraché des mains, et elles poussèrent un hurlement de terreur à l'idée qu'il s'écrase au sol comme un poupon de porcelaine. Elles voulurent appeler à l'aide, se défendre, mais la créature avait appris de ses erreurs. Les cheveux leur emprisonnèrent les mains, et comprimèrent tant leur poitrine qu'elles dûrent se concentrer pour seulement faire entrer l'air dans leurs poumons.

Très vite, leur gorge brûla, elles ouvraient la bouche tels des poissons hors de l'eau. Tout était flou autour d'elles. Sans lumière, elles ne distinguaient que des ombres tentaculaires, piquetées de tâches de couleur à cause du manque d'air. Elles entendaient, comme à travers plusieurs épaisseurs de coton, les cris des villageois qui entraient dans le hall, et le claquement des balles. La situation était sans espoir.

Mlle Everseau, aussi peu troublée que s'il y avait un simple concert de piano derrière la porte et non une véritable bataille, craqua une allumette et enflamma quelques bougies disséminées dans la pièce. La créature apparut dans toute sa laideur, auréolée de ténèbres. Ce qui glaça le sang des jumelles au-delà de toute mesure fut de discerner un paquet qui remuait dans les bras poisseux. Le regard du monstre couvait l'enfant, son étreinte était d'une délicatesse presque exagérée.

Terrifiées, les jumelles n'osaient plus se débattre. A l'idée qu'il arrive malheur au bébé, elles se tétanisaient un peu plus ; mais elles ne pouvaient ignorer la tendresse maladroite des gestes. En ce seul endroit de la pièce, il y avait de la douceur. Le reste n'était que violence et cris étouffés.

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