- Séparer deux baguettes chinoises avec brutalité revient à y laisser des échardes -
DEVON
Comment expliquer ce sentiment de panique qui me prend le corps, qui me prend l'âme et qui fait chavirer mon cœur ? Comment expliquer aussi ce sentiment de destruction que je ressens à l'intérieur de moi lorsque je me rends compte qu'elle n'est plus ici ? J'ai beau courir, courir, défoncer chaque porte de cette putain de maison, il n'y a toujours pas le moindre signe de sa présence. Je devrais me rendre à l'évidence, mais mon cerveau refuse d'intégrer cette hypothèse. Ils ne peuvent pas l'avoir enlevé...
Je me suis réveillé encore drogué, décentré de la réalité tout en ayant un nom en tête. Kayla. C'était un hurlement qui restait coincé dans ma gorge. Un cri de détresse destiné à appeler celle que j'aime. Mais encore une fois, j'ai eu beau crier, crier, fouiller chaque recoin, il n'y a toujours aucune trace d'elle.
J'ai l'impression que mes démons sont à deux doigts de prendre le dessus. Qu'ils me prennent les tripes, joyeux de ma détresse. À cet instant, je n'aspire qu'à une chose, redevenir le monstre que j'étais et retourner chaque millimètre de cette planète pour retrouver Kayla. Parce que je ne peux faire autrement. Je ne peux me rendre à l'évidence. Mon ange n'a pas pu être enlevé. Je ne veux même pas envisager cette idée.
Je ne sais même pas où elle se trouve, ce qu'ils comptent faire d'elle ou encore ce qu'ils attendent de moi. Je ferais tout, tout ce qui est en mon pouvoir pour la sortir de là. Je vendrais mon âme au diable rien que pour la savoir en sécurité. Malheureusement, le diable ne fait pas partie de l'équation et le jeu se passe entre moi et ces deux chiens. Ils m'ont pris ma femme et même si je rêve de pouvoir les faire regretter, j'ai conscience que je suis coincé ici et que je ne peux rien faire. Comment le pourrai-je, alors que je ne sais même pas où ils l'emmènent ?
Une fois que cette évidence atteint mon cerveau, je ne deviens rien d'autre qu'une loque. Une loque humaine incapable de réfléchir correctement. Je suis complètement perdu et je déteste ce son, le son de mon cœur en train de se fissurer au fur et à mesure des secondes qui s'écoulent sans elle.
Épuisé, je m'appuie sur le mur le plus proche et me glisse contre ce dernier pour ramener mes genoux à ma poitrine. Une première larme coule, rapidement suivie d'une deuxième. Je n'ose même pas entrer dans notre chambre par peur de me rendre encore une fois compte de cette nouvelle réalité. Son absence. Je refuse de rentrer dans cette pièce bourrée de souvenirs, d'y sentir son odeur, de constater le vide qu'elle a laissé sur son passage. J'espère que Soan et Jonas sont bien prêts parce qu'il existe une vengeance bien plus meurtrière que celle d'un frère en deuil. Il y a la vengeance d'un homme amoureux et ça, c'est quelque chose de bien plus dévastateur. Je retournerais le monde pour elle.
C'est d'ailleurs pour ça que je refuse de rester assis à rien faire. Il faut que je trouve une solution. Que je trouve un moyen de la retrouver, mais nous ne sommes pas dans un film d'action dans lequel le protagoniste aurait implanté une puce GPS dans sa bien-aimée. Non, là je n'ai aucun moyen de la trouver.
Une vague de colère me prend et je me dirige en vitesse dans la cuisine pour me passer de l'eau sur le visage.
En fait, si aujourd'hui Kayla se retrouve dans cette situation, c'est uniquement de ma faute. Avant d'en vouloir à ces deux connards, je dois m'en prendre à moi-même. Sans ma présence à ses côtés, elle irait beaucoup mieux, elle se trouverait avec sa famille, loin de moi et mes soucis. C'est moi qui ai conduit ces tueurs à elle. C'est moi qui leur ai donné notre amour sur un plateau d'argent tout comme c'est moi qui ai tué leur frère. En fait, Kayla s'en sortirait beaucoup mieux sans moi à ses côtés. C'est une constatation que j'avais pu faire bien plus tôt mais mon ange avait fait son possible pour me persuader du contraire. J'aurai dû résister à mes pulsions et la garder à distance. J'aurais même dû quitter cette maison au moment même où je me suis rendu compte que je l'aimais. Au lieu de quoi je l'ai laissé m'aimer en retour et s'incruster dans ma merde. Je ne suis qu'un connard d'égoïste qui ne mérite pas une parcelle de l'âme de Kayla.
Une rage contre moi-même se met à me broyer les tripes et le coup que je mets dans le frigo part tout seul. Au début, je ressens un pique de douleur au niveau de mon poing, mais au bout de quelques secondes je me rends compte d'à quel point c'est libérateur. Les coups se mettent donc à pleuvoir. Je casse tout. Tout ce qui se trouve sous ma main. Les chaises. Les verres. Les bouteilles. Les coussins du canapé que je balance dans tous les sens. Je rentre même dans la cave secrète et commence à renverser toutes les étagères. J'ai conscience que mon comportement est puéril mais il y a tellement de panique et de colère en moi que j'ai besoin de les expulser pour ne pas laisser la peur me dominer. Les bocaux se mettent donc à tomber les uns après les autres, provoquant des bruits stridents au rythme des battements acharnés de mon coeur meurtri. Tous mes sentiments s'écrasent au sol en même temps que toutes ces boîtes de conserve. La culpabilité. La rage. La peur. La colère. L'amour.
En fait, je ne suis qu'un bon à rien. Un bon à rien, bon qu'à attirer les ennuis sur des personnes qui ne méritent rien de tout ça. Si ma famille est morte, c'est de ma faute et si Kayla s'est faite enlever, c'est encore de ma faute. Je me rends compte que je suis un poison pour ceux que j'aime. Accorder mon amour à quelqu'un revient à faire souffrir cette personne et je ne me fais pas d'illusion, mon ange finira comme ma mère et mon frère. Ces connards vont la faire souffrir et la torturer avant de la tuer de la manière la plus brutale possible. Elle ne mérite pas ça. Elle ne mérite rien de ce qui lui arrive par ma faute. Mais encore une fois, comment faire pour la sortir de là ? Je ne peux rien faire, ils sont partis.
Je revois encore la frayeur que reflétaient ses yeux lorsqu'elle a compris qu'ils l'emmenaient et que je ne serais pas là pour la protéger. C'est là qu'elle a pris conscience que je ne pourrais rien pour elle et qu'en réalité, je n'ai jamais su la protéger comme il se doit. Je n'ai rien d'un super-héros, je suis plutôt du genre bourreau.
Mon regard finit par descendre vers le bordel que je viens de mettre et sur les étagères que j'ai renversé. Tout est sens dessus dessous et même si ça m'a aidé à apaiser ma colère, je ne me sens pas calmé pour autant. Mais lorsque mon regard passe dans un recoin de la pièce et aperçoit une bouteille de Whisky, je me dirige vers cette dernière et l'attrape dans mes mains. Contrairement au reste, je ne la jette pas mais continue de la regarder. Je vois en elle un moyen d'apaiser mes souffrances, un moyen d'oublier à quel point je suis un être minable. Mais je ne me rends pas du tout compte que ce qui est encore plus minable, c'est que quelques secondes plus tard, je me mets à déboucher la bouteille et boit au goulot comme si je n'avais pas bu depuis plusieurs semaines. L'alcool coule à flots dans mon oesophage et la brûlure que je ressens me fait un bien fou. Je continue donc de boire et de boire comme un alcoolique en manque, sans même me dire que j'ai mieux à faire que de rester ici pour m'apitoyer sur mon sort.
Les minutes finissent par passer et l'alcool monte à une telle rapidité que je sens toute la frayeur quitter mes veines. Les mauvais souvenirs disparaissent aussi et je perds la notion des priorités. Il faut dire, je n'avais même pas remarqué que je m'étais assis dans des débris de petits poids carotte pendant que je m'abreuvais et désormais j'ai du mal à me relever.
En titubant, je sors donc de la pièce et monte les escaliers en faisant attention de ne pas tomber. Je passe les portes et ouvre finalement celle que j'avais refusé d'ouvrir jusqu'à-là. Celle de notre chambre. Dès lors où je fais un pas à l'intérieur, ma culpabilité revient au galop et même les effets de l'alcool ne peuvent l'estomper. Comme une masse, je finis par m'effondrer sur le lit. Notre lit. L'idiot que je suis se met à renifler l'oreiller de Kayla comme pour me souvenir de son odeur et je décide de dormir à sa place. Peut-être qu'ici je me sentirais proche d'elle.
Ce n'est que lorsque je soulève les draps que je remarque quelque chose de pas normal. Des tas de plumes s'y trouvent et le matelas a été éventré avant d'être recouvert délicatement par le drap. Lorsque je me relève avec mal, je remarque que les marques de coupures forment des chiffres. Des séries de chiffres.
Mon cerveau divague dans tous les sens et il me faut plusieurs minutes, planté là devant cette succession de chiffres, pour comprendre ce qu'ils représentent. Ce sont des coordonnées géographiques. Tout se perd dans ma tête et c'est comme si mon esprit n'arrive pas à comprendre que je viens de trouver où ils retiennent Kayla. Ces deux connards ont bien l'intention de me faire la misère jusqu'au bout. Parce qu'ils savent qu'ici je n'ai aucun moyen de trouver indiqué et que ça va me prendre plusieurs jours. Le temps de retourner à la civilisation, chercher et me rendre à cet endroit. Ils veulent me faire perdre du temps et me laisser le temps de me poser mille et une question sur ce qu'ils sont en train de faire à la femme que j'aime.
Mais une chose est sûre, je suis déterminé et je n'attends même pas d'avoir dessoûlé pour prendre la route.

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Pile ou Face
RomanceL'amour peut-il naître derrière la souffrance ? Kayla, une jeune fille dont la vie était jusqu'à là joyeuse se retrouve du jour au lendemain, captive d'un psychopathe tueur en série. Entre souffrances et tourments, le début de sa captivité ne sera...