LA GRATITUDE ENVERS ALLAH ET LA PRIÈRE

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Prof. Dr. Süleyman Derin
[Süleyman Derin est professeur-docteur en islamologie à l'université de Marmara (Istanbul). Sa thèse doctorale intitulée « Towards Some Paradigms of the Sufi Conception of Love : From Râbia to Ibn al-Fârid » (Les différents types de compréhension de l'amour dans la tradition soufie : de Rabia à Ibn al-Fârid) fut soutenue à l'Université de Leeds (Angleterre) en 1999 et fut publiée aux éditions Insan.


Ses travaux se concentrent principalement sur le soufisme et l'interprétation du Coran (tafsir). Il est notamment l'auteur de Kur'an-i Kerim'deSeyr-u Suluk– Ahmed Ibn Acibe'ninTefsiri'nde (La voie « sayr-u suluk » dans le Coran, le Tafsir de Ibn Ajibah) aux éditions Erkam ; et de IngilizOryantalizmiveTasavvuf (L'orientalisme anglais et le soufisme) aux éditions Küre.Dans cet article, Süleyman Derin explicite le thème du chukr à travers l'une des lettres de l'Imam Rabbani.Ahmed Sirhindi – dit Imam Rabbani (1564-1624) – est un célèbre savant (cheikh) et juriste hanafi (fakih) indien. Maître spirituel de l'ordre soufi Naqshbandi, il fut surnommé « mujaddidalifsaani » (revivificateur du second millénaire hégirien) pour ses travaux réaffirmant l'importance de la Sunna face aux nombreux mouvements hétérodoxes qui prospéraient à son époque.Il rédigea ses Lettres (al maktubât) – collection de plus de 500 lettres dans lesquelles le cheikh transmet ses enseignements au sujet du kalâm, du fiqhet du soufisme – en 1615.]


Dans la tradition soufie, être reconnaissant envers Allah (chukr[1]) implique deux attitudes fondamentales pour le croyant, à savoir : apprécier les bienfaits qui nous entourent et être conscient que ces derniers proviennent d'Allah ; soumettre tout son être au message divin et remercier constamment son Enseigneur (Rabb[2]) que ce soit par le cœur, la langue, ou tout autre organe.


* À ce sujet, l'Imam Rabbani nous enseigne la sagesse suivante :« Allah Subhâna-hu[3], nous fait constamment don de Ses Grâces. Notre existence et notre longévité en sont des exemples parmi tant d'autres. Tous les attributs essentiels que nous possédons – tels que la capacité de vivre, d'apprendre, de voir, d'agir, de parler – proviennent de Sa bienveillance à notre égard. Tant de bienfaits dont nous jouissons tous les jours ! Notre Enseigneur nous soulage lors de la difficulté ; Il accepte nos invocations (dou'a) et nous apaise. C'est Lui qui ne cesse de nous sustenter (rizq[4]) malgré nos mauvaises actions et nos péchés. Lui, qui préserve notre honneur en ne dévoilant pas nos fautes (aux autres êtres humains). Lui, le Sage, qui ne punit jamais les coupables précipitamment. Lui, le Très Généreux, qui donne à chacun un ami et un ennemi. Lui, qui parmi Ses plus grands bienfaits, nous appelle à l'Islam, nous demande de suivre le Prophète (saws) et nous indique ainsi la voie menant au paradis. » (c, III 17. Mektup).


Pour l'Imam Rabbani, ces bienfaits constituent pour tout homme qui médite (tafakkur) des preuves éclatantes de la Générosité (ikrâm) et de la Bonté (ihsân) d'Allah. Cependant, la plupart des hommes ne réfléchissant pas assez sur leur environnement et leur propre nature, ils s'éparpillent et oublient ainsi la source de toutes ces grâces. Ils ne parviennent donc pas à être reconnaissants envers Allah.


Parmi eux, certains ne veulent délibérément pas Le remercier, reniant la nature même de Ses bienfaits. Selon l'Imam Rabbani, ces personnes sont trop attachées à l'adoration de leurs propres désirs et passions. Il leur recommande de reconsidérer leur attitude et de rediriger leurs remerciements vers Allah, tel qu'Il nous l'a enseigné.


« Il est logique, pour tout être doué de raison ('aql, logos), de remercier Celui qui le comble de bienfaits (al-mun'im, c.-à-d. Allah) et de Le respecter avec révérence. Ainsi, notre reconnaissance envers Allah et l'adoration que nous Lui réservons sont des actes et attitudes exigés par la raison. Bien évidemment, nous restons des êtres faibles et notre adoration d'AllahTa'ala[5]– le dénoué de toute imperfection et de tout manque (al-munazza, c.-à-d. Allah) – est forcément entachée de manques et de fautes. Or, ce sont ces mêmes manques qui obstruent la voie menant à Lui et qui nous empêchent de Le remercier.

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