Chapitre 20

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I don't need no sleep 'cause I'm already dreaming...


La commissaire-priseuse fixa la jeune femme d'un air ébahi. Elle était tombée sur cette étudiante aux cheveux vert sapin en quittant son bureau en ce début d'après-midi, et avait entendu vaguement parler d'une thèse. Intriguée, elle s'était retournée et le secrétaire avait saisis l'occasion.

-Ah, Mme Enkhtaivan ! s'exclama-t-il avec soulagement. La jeune personne ici présente étudie à l'école d'informations de l'UBC et prépare une thèse sur les ventes aux enchères. Peut-être pourriez-vous lui accorder un instant ?

Géromine Enkhtaivan dévisagea l'étudiante. Elle présentait bien dans sa chemise blanche et son foulard noir noué autour de son cou – mis à part ses cheveux vert sombre, fantaisie que la sexagénaire réprouvait chez étudiant·e·s littéraires. Elle serra la main que la jeune femme lui tendait.

-Teagan Muller, je suis en master d'étude des archives, se présenta-t-elle dans un sourire. J'ai un mémoire à rendre à la rentrée portant sur les archives des ventes aux enchères dans le milieu de la haute couture. Durant mes recherches, je me suis rendu compte que les différentes maisons – Chanel, Gucci, Ballerina Eternalis pour ne citer qu'elles – étaient très secrètes sur les pièces vendues durant ces enchères. J'ai également cru comprendre que vous disposiez d'un réseau en ligne regroupant toutes ces ventes, et ce pour tous les pays. Votre secrétaire ne semble pas autorisé à me fournir un accès, mais peut-être que vous pourriez ?

La commissaire-priseuse haussa un sourcil. Comment était-elle au courant de ce réseau ? En soixante-cinq ans d'existence et presque quarante-sept ans de bons et loyaux services dans le monde des enchères, c'était la première personne qui avait l'aplomb de venir lui demander un accès !

Quelque chose d'autre la dérangeait. Géromine avait beau être humaine, elle savait que les personnes qui assistaient aux ventes organisées par la maison Ballerina Eternalis n'avaient d'humaines que l'apparence. Elle n'aurait su dire pourquoi, mais cette certitude s'était gravée dans son esprit depuis plusieurs décennies.

La candeur dans les yeux de l'étudiante se voilà légèrement, changeant imperceptiblement sa physionomie. Elle lui apparut beaucoup plus mature – trop pour son âge – comme si elle avait vu plus d'horreurs qu'elle ne voulait l'avouer. Plus dangereuse, aussi. Géromine reprit son souffle et réajusta une mèche dans son chignon de cheveux blancs.

-Je peux vous fournir un accès dans la salle informatique, finit par accepter la commissaire-priseuse. Mais il me faut un courrier manuscrit, signé et daté expliquant pourquoi vous avez besoin de cet accès. Ainsi que votre signature sur le contrat de confidentialité et une photocopie de votre carte d'identité. Vous pouvez repasser demain, je vous...

-Oh, je les ai déjà préparé·e·s ! la coupa l'étudiante en fouillant dans son tote-bag. Je n'étais pas sûre que ce soit nécessaire mais j'ai préféré prévoir.

Elle paraissait étrangement soulagée, presque libérée d'un poids colossal. Ses yeux redevinrent lumineux, autant que son sourire.

La sexagénaire pinça ses lèvres délicatement peintes tandis que son secrétaire finissait de photocopier la carte d'identité, avant d'escorter l'étudiante vers la salle informatique. Une demi-douzaine de vieux ordinateurs somnolait, attendant de rentrer de nouvelles déclarations de ventes.

Géromine se tourna vers la jeune fille d'un air sévère.

-Une demi-heure, menaça-t-elle en agitant son index osseux. Une demi-heure, pas plus.

-Merci beaucoup, Mme Enkhtaivan ! Je vous citerais dans mon mémoire.

La commissaire-priseuse se retint de lui rétorquer un sec « N'en faites pas trop, jeune fille ». Pour dire la vérité, elle n'avait pas vu une jeune personne si enthousiaste depuis des années.

Indienne McTuffy (La Trilogie - Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant