Chapitre 26

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Fuck it. Fuck off. Fuck you, you and you. Fuck her. Fuck him. Fuck this. Fuck that. Fuck all.


Maple Ridge

Samedi 5 août 2017

Chère mademoiselle,

Je ne sais pas si vous aurez un jour cette lettre, mais ce ne sera certainement pas moi qui vous la remettrai. Je sens dans mes vieux os qu'il ne me reste plus très longtemps à vivre, votre venue y est pour quelque chose.

Hier, vous êtes passée au Francesca's avec vos questions et votre candeur désarmante. Un vrai vent de fraicheur pour nous autres vieilles et vieux de Maple Ridge. Vous m'avez demandé si je connaissais la Sanseverina, soi-disant une amie de votre mère. Un charmant stratagème, mais vous êtes tombée dans le mauvais bar. Ou le bon, comme vous voulez.

Comme je vous l'ai dit hier, j'ai travaillé pour Prima de 1987 à 2000. Du début à la fin, comme vous pouvez le voir. Prima était à la fois ma patronne et un peu ma fille. Je ne sais pas quel âge elle avait, elle n'a jamais voulu me dire, mais l'écrivain qui lui servait de compagnon avait une trentaine d'années à leur arrivée.

Quoiqu'il en soit, si vous cherchez Prima et Willy, vous devez savoir quelque chose. Cela m'est revenu après votre départ. Ils ont toujours voulu garder secret les deux grossesses de Prima. Entre nous, c'est tout à fait compréhensible. Prima avait déjà perdu son fils issu d'un précédent mariage, et elle n'était même pas mariée à Willy. Ça aurait fait scandale, toute actrice qu'elle soit. Toujours est-il que Prima est tombée enceinte deux fois : une fois en 1989, une autre fois en 1999.

Vous devez vous demander où je veux vous emmener, avec mes divagations de vieille femme sur les bonnes mœurs. Ecoutez un peu ! Les deux fois, Prima et Willy se sont enfuis dès qu'il était un peu trop évident que Prima attendait un enfant. Enfuis, vous dis-je ! Ils sont partis dans le Nord – où exactement, je ne sais pas. Ils craignaient qu'on le remarque, mais moi, je vois ce genre de choses. Ma mère et ma grand-mère étaient sages-femmes, elles m'ont tout appris, mais avec la médecine moderne, il m'aurait fallu un diplôme, et les études coutaient cher pour une famille comme la mienne.

Ils s'enfuyaient aux premiers signes de grossesse, donc, et revenaient environ un an après. Seuls. Vous avez bien lu, mon petit, ils ne revenaient pas avec les enfants. Qu'en ont-ils fait ? S'ils souhaitaient tellement préserver la réputation de Prima, ils ont dû les mettre à l'adoption, ou dans un couvent si c'étaient des filles – pour un peu que ce genre de choses se fasse encore.

Un soir, cela devait être à l'été 2000, peu après que Prima fut revenue de sa seconde grossesse, je l'ai trouvée en larmes dans sa chambre. Willy était parti pour aller je ne sais où, et j'ai trouvé Prima pleurant seule. Des pleurs de mère, si vous voulez mon avis. Je lui ai demandé ce qui n'allait pas, et elle m'a dit qu'elle avait perdu des êtres chers. Je lui ai demandé qui, elle m'a dit ses trois enfants. Si je me souviens bien, ils s'appelaient Niccolo, Morrigan et Sasha. Je ne sais pas si Sasha était une fille ou un garçon, c'était la mode des prénoms mixtes – quelle idée absurde. Elle m'a fait jurer de ne jamais en parler à qui que ce soit. J'ai juré. Mais je pense que vous – et votre mère – avez le droit de savoir. Le lendemain, elle m'annonçait qu'elle comptait vendre la maison.

Je ne sais pas qui est votre mère, ou qui vous pensez qu'elle est, mais sachez que votre visage n'est pas anodin. Tout le monde au Francesca's a reconnu votre héritage à travers vous. Et si nous l'avons fait, alors d'autres peuvent le faire.

C'est maintenant que je vous mets en garde, mademoiselle. Déjà de leur vivant, Prima et Willy étaient poursuivis par un homme qui rodait autour de la maison. Combien de fois a-t-il décampé en me voyant dans la maison ou dans le jardin ! Je ne sais pas qui était ce voyeur, mais ce n'était sûrement pas un paparazzi, oh que non. Cet homme-là, il sentait l'argent et la malice à des kilomètres à la ronde. Il a cessé de venir dans les parages lorsque Prima a déménagé à la fin de l'année 2000. Mais je l'ai revu en rentrant chez moi avec Grainne Ni Mhaille ce soir, après votre départ du Francesca's. J'ai un mauvais présentiment, mademoiselle, c'est pour ça que je vous adresse cette lettre en espérant que vous la lisiez un jour.

Indienne McTuffy (La Trilogie - Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant