Indienne McTuffy (La Trilogie - Tome 1)

Chapitre 34

Oh baby! I feel like, the music sounds better with you!

A peine rentrée chez elle, Debby vérifia fiévreusement sa BALI. Cela faisait plusieurs mois qu'elle attendait des nouvelles d'Indienne McTuffy, restée au manoir O'Connor.

Depuis fin août, la dragontounie menait son enquête pour retrouver le Lord Ulsterson. L'homme semblait s'être évaporé, abandonnant sa maison victorienne de Hyde Park, congédiant tou·te·s ses domestiques à l'exception de son majordome et d'un gardien, chargés de veiller pendant son absence. Indienne s'était rendue sur ses propriétés près d'Aberdeen et Omagh pour les trouver toutes aussi vides que la maison de Hyde Park. Personne ne savait où le Lord s'était enfui, ni pourquoi. Les lettres envoyées par BALI restaient sans réponse, pourtant elles arrivaient bel et bien quelque part. « Ulsterson n'est donc pas mort, » lui avait certifié Indienne, « juste très bien caché. »

Cette situation mettait les nerfs de Debby/Teagan Debby/Léona à rude épreuve. Elle ne cessait de repenser aux meurtres de William O'Connor et de la Sanseverina, se demandant si Ulsterson à son tour était menacé par le·a même meutrier·ère. Si c'était le cas, il fallait le retrouver avant lui ou elle.

La BALI de Debby était encore et toujours vide. Un poids tomba brusquement sur son estomac.

Elle se laissa basculer sur le canapé, allongée sur le flanc, le regard dans le vide.

L'enquête pour retrouver les trois enfants Bravia, Niccolo, Sasha et Morrigan, n'avançait pas non plus. Elle n'avait pas eu le temps de retourner à Prince Rupert pour examiner la tombe de Morrigan et déterminer si elle était réelle – si une enfant était bel et bien enterrée là. De la même manière, la piste de Niccolo s'arrêtait à Vancouver, à une adresse inexistante d'où il avait envoyé sa dernière lettre à ses parents adoptif·ve·s le 6 avril 2006. Et ensuite, plus rien. L'immeuble avait été abattu en 2010 pour construire un complexe sportif, à son tour détruit en 2014 pour non-conformité aux règles sanitaires. Les recherches dans les archives de la ville prenaient du temps, et entre ses cours d'avocate et d'archiviste, elle avait déjà à peine assez de temps pour dormir et se nourrir correctement.

La piste de Sasha Bravia était la plus frustrante. Mis à part son prénom et son nom, elle n'avait aucune information. Rien. Elle ne savait même pas si Sasha était une jeune femme ou un jeune homme. Comme pour Morrigan, aucun acte de naissance n'existait, aucun acte de décès, pas la moindre trace d'existence.

La frustration et la fatigue brouillèrent son regard. Elle n'était pas Deborah Ulsterson. Elle n'était pas Teagan Debby Muller. Elle n'était que Léona Cherchebruit, une adolescente de dix-sept ans... Elle aurait dix-huit ans dans deux jours, le 15 novembre, mais personne ne le saurait. Personne ne le lui souhaiterait. Le seul avantage serait qu'elle pourrait alors disposer sans restriction du compte laissé par O'Connor à sa mort – il y avait de ça une éternité, il lui semblait – ou tout du moins de ce que Charles et Hespéride Cherchebruit lui aurait laissé.

Pour le reste du monde, elle était Teagan Debby Muller, l'intrépide autodidacte, née le 3 septembre et âgée de 22 ans. Pas de quoi faire tout un plat de mercredi prochain... En plus, elle avait un examen organisé par Pernelle de prévu, une soutenance orale, et on annonçait des orages titanesques. Journée de merde en prévision.

Son téléphone sonna sur la table basse. Elle se redressa sur un coude et tendit la main.

-Allô ?

Sa voix était rauque, encore chargée des larmes silencieuses qu'elle essuyait de son pouce.

-Debby ? Tu pleures ?

A l'autre bout de la ligne, Teagan semblait véritablement inquiet. Les inflexions de sa voix n'étaient plus aussi insouciantes que d'habitude. Elle se racla la gorge et força un petit rire.