Chapitre 39

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Lady Louise est plus proche de Lucifer que de la Vierge Marie. Croyez-moi.


Sanatorium La Belle Epoque, campagne de Genève, 15 janvier 2000.

Louise Ulsterson jeta un coup d'œil mélancolique à la fenêtre de sa chambre. La neige recouvrait les parterres de fleurs, les allées, les champs qu'on distinguait au loin. Seuls quelques buissons de houx tranchaient sur ce paysage cotonneux, contraste saisissant du rouge sur le blanc.

Elle allait rentrer chez elle. Revoir sa fille Deborah qui aurait bientôt cinq ans, qu'elle n'avait pas vu depuis mars dernier. Retrouver son époux, la maison de Hyde Park en plein cœur de Londres, les soirées mondaines, la vie. Sourire, rire, danser, prendre le thé avec des amies... tout ceci lui donnait déjà la nausée.

On frappa doucement à la porte. C'était une infirmière, celle qui s'était occupée d'elle pendant son séjour. Raison officielle : dépression nerveuse. Raison officieuse : une grossesse à cacher.

-Votre taxi vient d'arriver, Lady Louise.

-Merci, Jenifael.

Louise se leva et descendit le grand escalier de marbre, vestige d'une époque glorieuse où les sanatoriums étaient à la mode. Maintenant, on les considérait comme des hôpitaux psychiatriques pour personnes fortunées, une manière de ne pas avouer au reste du monde que telle ou tel parent était folle ou fou à lier. Ce côté sinistre convenait parfaitement à la jeune Lady. Ici, personne ne viendrait jamais la déranger. Elle avait trouvé son havre de paix.

Ses valises avaient déjà été chargées dans le taxi par l'un·e des aides-soignant·e·s. La nouvelle directrice de l'établissement, l'aimable Madame Dryll, lui sera chaleureusement les mains. En d'autres circonstances, on aurait pu les prendre pour des sœurs. Lady Louise n'était âgé seulement que deux ans de plus que la jeune directrice, et leurs familles avaient toutes deux immigrées en Europe avant la Première Guerre.

-Au revoir, Lady Louise. Profitez de Londres, et ne nous revenez pas tout de suite.

Louise hocha la tête. En quatre ans, elle avait déjà fait deux longs séjours au sanatorium, le premier juste après l'accouchement de sa petite Deborah – et l'accident.

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-Bonne nuit, ma chérie.

-Bonne nuit, Maman.

Louise déposa un dernier baiser sur le front de sa fille avant d'éteindre la lumière et de redescendre dans la salle à manger. Elle s'excusa auprès de ses invité·e·s – Lord et Lady Mornetown ; l'écrivain et journaliste Sieur Palex Merlin Eigengrau, responsable de la rubrique des sciences magiques du Times ; et la commissaire-priseuse Enkhtaivan spécialement venue du Canada pour estimer la valeur d'un artéfact gobelin – alléguant que le coucher de sa fille était un rituel auquel elle ne pouvait pas couper.

Lord Ulsterson, son mari, ne fit aucun commentaire. Il ne lui lança même pas un regard alors qu'elle se rasseyait à ses côtés, continuant sa discussion sur la valeur des actions en bourse d'un laboratoire pharmaceutique avec Lady Mornetown. Tou·te·s deux étaient des traders et tradeuses hors pair, se côtoyant dans les couloirs des bourses de Londres, Paris ou New York. Iels se connaissaient depuis leurs débuts – presque vingt-cinq ans – et avaient même été un temps fiancé·e·s. Rien qui ne puisse porter ombrage à la jeune Lady Ulsterson.

Elle reporta son attention sur la commissaire-priseuse Enkhtaivan. Elle devait avoir la cinquantaine, sa chevelure brune ramassée en chignon sage étaient parsemée de mèches blanches – pas seulement quelques cheveux argentés lui donnant un aspect poivre et sel, non, bel et bien de larges mèches complètement blanches. Visiblement insensible à la cour assidue que lui faisait le Sieur Merlin Eigengrau, la commissaire-priseuse interpella Louise.

Indienne McTuffy (La Trilogie - Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant