Assise dans son fauteuil de bureau tout neuf, Elle exultait. Elle but une grande gorgée de sa boisson énergétique préférée — goût cerise, le meilleur des meilleurs — et poussa un long soupir triomphant. Son plan s'était déroulé exactement comme prévu et se terminait sur la grande victoire qu'Elle méritait.
Tout avait commencé par un peu d'archéologie. Elle ne l'aimait pas, cette Marie Machin. Depuis que ses tweets avaient fait son apparition sur sa page d'accueil et que son entourage s'étaient mis à la louer, Elle s'en était méfiée. Elle détestait son air suffisant, son côté donneuse de leçons et sa manie de toujours la prendre de haut, pour aucune raison.
Alors, Elle avait fouillé. Au départ, ce n'était qu'un petit passe temps mesquin, une plongée dans ses propos passés. Elle espérait trouver un petit quelque chose qui lui permettrait de ternir un peu cette réputation dorée. Peut-être Marie Machin détestait une personnalité intouchable aux yeux du public, peut-être aimait-elle les sandwiches confiture-cornichons. Cela suffirait à faire jaser, Elle n'en demandait pas plus.
Puis, elle avait touché une mine d'or.
Bien sûr, les affreux tweets qu'Elle avait trouvés s'expliquaient aisément, s'intégraient dans un contexte. Mais qui de nos jours a le temps pour le contexte ? Quelques screenshots bien agencés et la machine se lance d'elle-même. Aidée par sa petite armée de bots personnels, et sa clique fidèle de no-life épris de justice, Elle avait mené à bien sa croisade. Aucune excuse n'avait suffi, les pleurs et les jérémiades n'effaceraient jamais La Faute. Elle aurait pu se sentir coupable mais après tout, Marie Machin les avaient vraiment écrites, ces horreurs — pour la plupart —, elle les avait vraiment postées. De quel droit se plaignait-elle qu'on la tienne responsable de ses erreurs ?
Allez, bloquée. Ce qui n'était qu'une formalité puisque, si Marie Machin n'avait pas fermé son compte d'elle-même dans les vingt-quatre prochaines heures, Elle s'arrangerait pour le faire suspendre, histoire de planter un dernier clou dans son cercueil.
Sur ces entrefaites, elle enfila son casque à oreilles de chats, gratouilla entre ses vraies oreilles de vrai chat la petite citrouille qui lui servait d'animal de compagnie et lança son live du soir. Ses abonnés étaient déjà au rendez-vous, réclamant sa présence à corps et à cris. Mais rien ne servait de se presser, au contraire. Cinq minutes d'attente, à se faire désirer, et ses chers petits fidèles seraient encore plus pressés de mettre la main au portefeuille.
— Coucou tout le monde, j'espère que ça va bien. Ce soir, je pensais faire une petite soirée chill Minecraft et FAQ, j'en ai bien besoin après cette semaine éprouvante. Donc n'hésitez pas à poser vos questions dans le chat.
Elle lança le jeu pendant que les premiers curieux se lançaient. Bien sûr, beaucoup portaient sur le drama du moment. Elle se retint de soupirer. L'affaire était close, non ? Pourquoi s'appesantir encore là-dessus ?
— On va éviter les questions sur Marie Machin ce soir, mes loulous, si vous voulez bien. D'autant que j'ai déjà fait le tour de la question. Rien de tout ça n'est personnel, c'est juste que c'est un sujet qui me tient à cœur, surtout en tant que concernée, et je voulais juste la mettre face à ses responsabilités. Qu'elle fasse une pause pour faire le point et déconstruire certaines pensées toxiques, je trouve ça louable, même si j'aurais préféré qu'on n'en arrive pas là. Voilà, j'ai rien d'autre à dire sur le sujet, vous connaissez tous ma position et honnêtement, ça me fatigue émotionnellement de repenser à tout ça.
Elle coupa le live trois heures plus tard, avec le sentiment du devoir accompli et quatre cents euros de plus sur son compte. Elle s'étala dans son lit, le nez dans une série quelconque en se demandant de qui elle pourrait faire sa prochaine cible. Les défenseurs de Marie Machin restaient hors d'atteinte pour le moment, il ne faudrait pas laisser croire qu'Elle s'acharnait. Elle devrait se tenir tranquille pendant une bonne quinzaine, le temps de laisser le soufflé retomber, puis repartir à l'offensive. Premièrement parce qu'il y avait toujours des connards à remettre à leur place et deuxièmement parce que si Elle arrêtait de faire parler d'elle, Elle pouvait dire adieu à sa notoriété et donc à sa principale source de revenus. Et ça, c'était hors de question. De toute manière, avec ou sans elle, la roue continuerait de tourner et chaque drama prendrait la place du précédent. Elle s'endormit sur ces pensées.
Quand Elle se réveilla, son premier réflexe, comme toujours, fut de vérifier ses notifications Twitter. Elles étaient étonnamment plus nombreuses que d'habitude, ce qui ne présageait rien de bon. Elle finit par trouver quelle en était la cause, le sang glacé dans les veines.
Quelques heures plus tôt, Elle était devenue le sujet de toutes les discussions.
Suivaient des captures de messages énervés, certains datant de plusieurs années, des extraits de ses lives où elle lâchait sa frustration, des tweets carrément odieux. Quelques-uns étaient vrais, d'autres complètement fabriqués, la plupart sortis de tout contexte. Mais qui de nos jours a le temps pour le contexte ?
VOUS LISEZ
Writober 2022 : Télécrépuscule
Horror31 jours, 31 thèmes créés par @Myfanwi "L'Enfer est vide, tous les démons sont ici" - William Shakespeare, La Tempête