26 - The Scream : le cri qui fait le plus peur

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La tête entre les genoux, roulée en boule sous mon bureau, j'attends que l'orage passe. Pour étouffer encore les hurlements qui remontent du rez-de-chaussée, je maudis de toutes mes forces cette grosse connasse de prof de maths. Avec un 12 ou même un 11, je me serais juste pris une baffe, il m'aurait rappelée à quel point je suis nulle, que je ne suis bonne à rien et que je suis même trop moche pour faire le trottoir. J'ai l'habitude, je peux encaisser. Mais non, il a fallu qu'elle « sévisse », parce que je « ne fais plus aucun effort » et je me suis retrouvée avec un 9. Je suis rentrée à la maison avec une boule au ventre encore plus grosse que d'habitude, si grosse que j'avais peur qu'elle me ressorte par la bouche. Si Maman n'avait pas été là, j'aurais fui le plus loin possible.

Comme toujours, elle a voulu me protéger. Alors, quand il a brandi le poing, elle s'est interposée, elle a tenté de le raisonner. Comme si on pouvait argumenter avec un mur. Je me suis enfuie sans demander mon reste, en me promettant comme à chaque fois que ce serait la dernière, que je ne serais plus jamais aussi lâche, je sais que c'est des conneries. Ça continuera, encore et encore, jusqu'à ce que ce porc crève ou jusqu'à ce que Maman et moi ayons le courage de faire nos valises et de partir. Mais nous sommes toutes les deux aussi lâches l'une que l'autre. C'est comme ça, on n'y peut rien.

Je m'imagine casser les dents de Madame Pinson, lui en arracher neuf pour les neuf points qu'elle a daigné m'accorder et les porter en collier. Elle en a sûrement rien à foutre de ma vie, tant qu'elle est payée tous les mois. Elle doit rentrer tous les soirs dans sa maison parfaite, avec son mari parfait et ses enfants parfaits. Quelle pute.

Un cri déchire toute la maison.

Que ça gueule, j'ai l'habitude. Mais ce cri-là n'a rien à voir avec tous les autres, il me glace le sang. Je reconnais la voix de Maman, et en même temps, c'est la première fois que je l'entends. Il y a quelque chose de primal dans ce cri, quelque chose d'une bête blessée qui attend qu'on mette fin à ses souffrances.

Le silence tombe. Complet, épais, assourdissant.

Je compte jusqu'à cent et j'ose enfin sortir de ma cachette, des larmes plein les yeux. Je descends marche par marche. Une colonie de fourmis s'agite sous ma peau, ma boule au ventre me cogne aux dents.

Dans la cuisine, Maman est couverte de sang. Elle fixe tour à tour le couteau dans sa main et le corps de mon géniteur étendu sur le carrelage et sous lequel une mare rouge se forme. Quand elle m'entend entrer, elle me fixe de ses grands yeux remplis de terreur et coasse, comme si chaque mot lui coûtait :

— Il va falloir que tu aides Maman, mon poussin.

Writober 2022 : TélécrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant