4- Questions pour un potiron

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— Vous allez commencer par répéter après moi. Moi, Erik Jansson…

— Moi, Erik Jansson…

— Admis à l’école Saint-Cyr durant l’année 1892 en ma qualité de potiron…

Assis dans le fauteuil, le garçon tiqua à cette appellation. On se moquait de lui, il le savait, on le renvoyait à sa qualité d’élève étranger, on lui faisait comprendre qu’ils ne le considéreraient jamais comme l’un des leurs. Pourtant, il répéta, docile, jura de ne dire que la plus stricte vérité et de répondre aux questions avec la sincérité la plus totale.

— Alors, mon garçon, maintenant que nous sommes assurés de votre sincérité, pouvez-vous me dire ce qui est arrivé à votre ami Konrad Carlsen, la nuit du 14 au 15 septembre ?

Son interlocuteur prenait une voix pleine de la gravité que demandait la situation. Erik prit une grande inspiration, s’efforçant de ne pas tourner la tête.

— Nos aînés sont venus nous chercher dans nos chambres, afin que nous soyons officiellement présentés à toute la promotion.

— Avez-vous été bousculés, durant cette « présentation » ?

— Oh non, monsieur, nos camarades se sont montrés très corrects. Ils nous ont un peu chamaillé comme c’est de coutume mais je vous assure que ce n’était rien de fâcheux et nous avons même bien ri. Comme vous pouvez le voir, je me porte à merveille.

Un court silence s’installa. Il semblait que sa réponse fût satisfaisante.

— De quelle façon vous ont-ils chamaillés, comme vous le dites ?

— Eh bien, certains portaient des costumes et se sont amusés à nous effrayer, pour tester notre courage. Il y a eu quelques mots, aussi, et un camarade a dit que Konrad était un Bosche. Je crois que c’est ce qui l’a blessé, parce que je ne l’ai pas revu ensuite.

— Vous avez laissé votre ami sans savoir où il se trouvait ?

— C’est que je me suis retrouvé submergé… oui, noyé sous mes aînés qui venaient tous se présenter à moi et le temps que je m’extirpe de la foule, Konrad avait filé. Voici le mot qu’il m’a laissé et que j’ai trouvé en rentrant dans notre chambre.

Des applaudissements retentirent, trop enthousiastes pour être honnêtes. Bérenguier, l’élève de dernière année qui faisait face à Erik s’approcha de lui et lui tapota la joue :

— Un peu guindé, mais cela devrait faire l’affaire. Tu n’auras qu’à gentiment répéter tout ce que tu viens de me dire au général de brigade quand il viendra immanquablement te poser des questions.

Il se redressa et croisa les bras, observant Erik de bas en haut avec l’air de se demander ce qu’il allait bien pouvoir faire de lui :

— Ta dernière épreuve consistera à écrire ce fameux mot. Qu’il soit le plus convaincant possible. Mais en attendant, il y a autre chose que tu dois faire pour nous.

Ce fut alors que s’avança Duval, qui avait manqué l’interrogatoire pour se ruer vers la cabane du jardinier. Après un regard à Bérenguier, il déposa son fardeau sur les genoux d’Erik.

— Allez, ne traîne pas. Tu dois avoir fini avant l’aube.

Effaré, Erik fixa l’outil qu’on venait de lui donner. Puis, alors qu’il luttait depuis de longues minutes pour s’en arracher, son regard retourna vers le cadavre de Konrad, qui reposait à côté de la bassine. Ses cheveux trempés collaient à son front et se perdaient dans ses yeux vitreux. L’écume moussait à ses lèvres.

Ils ne l’ont pas fait exprès. Ce n’est qu’une farce qui est allée trop loin, se persuada Erik en serrant la poignée de la scie.

Writober 2022 : TélécrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant