Tandis que le soleil chauffe sur Paris, appuyant une chape étouffante sur toute la ville, j'essaie de parfaire mon bronzage sur un transat. J'ai eu la bonne idée de m'y prendre tôt, car très vite, la horde blafarde fond sur les bancs de sable, se ruent dans les bassins. Ils sortent tout juste de mois d'enfermement dans l'open space, et profitent de leur petite semaine de vacances pour s'agglutiner sur cet erzatz de plage, en quête d'une illusion de bonheur comme les morts-vivants sont en quête de cerveau.
J'interromps ma lecture du Guide de survie en territoire zombie — je remarque d'ailleurs que je suis la seule à lire, à l'exception d'une autre femme, mais elle lit du Musso, alors je ne la compte pas — pour écouter le discours en écho de la foule. Un esprit de ruche s'est emparé de la populace, qui répète sans réfléchir les mêmes phrases, en boucle, persuadés sans doute d'être intéressants.
— Et du coup, je t'ai raconté pour Mylène ? demande une mère à une autre, tandis qu'elles baladent leur progéniture en poussette.
Trois autres groupes passent, Mylène est remplacée par Didier, Martine, ou Laurent ( « Mais si, tu sais, celui avec qui est sortie Amélie, coupe en brosse, des petites lunettes. — Ah, le comptable ? — Non, justement, l'autre »), mais le discours reste le même.
« Matthéo ! », appelle une femme. Quatre enfants, que seul l'âge différencie, se retournent.
J'entends parler d'immobilier, construire ou ne pas construire, telle est la question. On compare la capitale et la province, où tout est moins cher mais « tellement loin de tout, non, je ne pourrais pas quitter Paris, impossible ».
S'enchaînent les sempiternels : « Tout augmente » et les « Je ne suis pas raciste, mais... », les : « Mais tu as vu que Macron, à la rentrée, il va... » suivis en face par un automatique : « Ouais, c'est encore des mesures pour les riches, quoi ». Bien sûr, la masse zombifiée ne serait rien sans ses : « Il faisait quand même pas si chaud il y a quelques années » et autres : « Non mais avec la pollution, tout fout le camp, c'est sûr ».
Évidemment, on parle tourisme, on rêve d'une destination plus paradisiaque que les quais de Seine. « Je pense qu'on essaye la Grèce, l'année prochaine, c'est pas trop cher » revient plus de fois que je ne peux le compter. Les récits de voyages dans les pays pauvres s'émaillent de l'obligatoire : « Ces gens-là, ils vivent avec rien, et ils sont contents quand même ».
Je finis par me demander si quelque chose les anime, ces gens, qui répètent tous les mêmes choses, sans se rendre compte qu'ils sont similaires en tous points à leurs voisins. Rien chez eux n'est unique, rien ne vaut le détour, rien qui ne serait trouvable chez des dizaines d'autres. Ils parlent des mêmes choses, regardent en boucle les mêmes émissions stupides, passent leur temps à nourrir Je finis par avoir l'impression de vivre dans une simulation, et je me rends compte que tout aurait bien plus de sens si tous ceux qui m'entourent n'étaient en réalité que des PNJ au script sommaire.
Heureusement, un message de Jade, ma meilleure amie, me redonne de l'espoir. Elle est comme moi, authentique, sans formatage, aussi unique qu'on puisse l'être :
✉️ Coucou, ma bouffonne adorée <3 Ça te dit qu'on se fasse un petit marathon HP cet aprem et ce soir avec les filles ? Et puis demain, on ira bruncher et on jouera à Smash Bros.
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Writober 2022 : Télécrépuscule
Horror31 jours, 31 thèmes créés par @Myfanwi "L'Enfer est vide, tous les démons sont ici" - William Shakespeare, La Tempête