21.Le Manoir

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"Allez Stan, viens !

- Attends, je suis sûr que je peux lui choper deux trois bonbons ! "

Je toque encore à la porte.
Ce soir, c'est Halloween. Comme tous les gamins du quartier, je fais la tournée des friandises avec mes amis.

Il faut dire qu'on est plutôt doués, tout le monde nous connaît ici et comme on nous aime bien, on gagne pleins de bonbons.

Toutes les maisons où on a toqué se sont ouvertes. Sauf celle-là. Pourtant, la vieille mamie rabougrie, je l'ai vue nous regarder à travers ses rideaux.

"Allez c'est pas grave, de toute façon on en a plein !

- D'accord, j'arrive... "

Quelle radine !

Je rejoins mon copain John et on cours rattraper les autres. On s'amuse bien, tous les cinq. On se moque de la mémé qui nous a snobé quand Gaston, type baraqué déguisé en Frankenstein, nous coupe la parole :

- Hé, les mecs ! Regardez qui fait la tournée tout seul ! "

Il pointe du doigt un gamin déguisé en fantôme. C'est sûrement Elliott.

"Mais non, c'est pas lui ! râle John.

- Bien sûr que si ! T'en connais beaucoup des petits gros qui se promènent avec un drap sur la tête ?"

On rigole. Ce n'est pas qu'on en a après Elliott, c'est juste qu'il est... Bizarre. Gras, timide et il déteste le foot. Il a tout le temps peur.

"Vous savez quoi ? je propose. On a qu'à lui enlever le torchon qui lui cache la face ! Et si c'est pas lui, on aura qu'à partir en courant ! "

J'ai à peine fini ma phrase que tout le monde se précipite vers le garçon. Quand ils arrivent enfin à retirer la couverture, c'est bien la grosse tête terrorisée d'Elliott qui nous regarde.

J'éclate de rire.

"BONJOUR ELLIOTT, je hurle entre deux gloussements. COMMENT ÇA VA ?"

Mes potes se marrent et commencent à répéter mes paroles le plus fort possible. On fait souvent ça avec le petit gros. A chaque fois il sursaute, ça fait bouger le gras de ses joues, et il plaque ses mains contre ses oreilles comme s'il voulait s'écraser la tête.

"T'AS DES BONBONS ? TROP BIEN ! FAIS VOIR !"

On se précipite sur lui pour lui arracher son panier, mais il a la poigne ferme. Finalement, John y arrive en lui enlevant les doigts un par un. Il nous regarde, les larmes aux yeux, pendant que la bande se partage le butin. Puis Gaston s'approche de moi et me chuchote un truc à l'oreille. Je souris et hoche la tête.

"VIENS JOUER AVEC NOUS" qu'il gueule.

Et juste à ce moment-là on prend tous un morceau du vêtement d'Elliott pour pas qu'il s'échappe.

Gaston et moi on mène la troupe au vieux manoir abandonné au bout du village. Il crâne tout en haut d'une montagne, un peu à l'écart. La pente est raide et il faut tirer le petit gros pour qu'il avance. Ça commence à nous agacer alors on a hâte de se retrouver au bout pour lui faire sa fête.

L'herbe sous nos pieds devient grise et l'air opaque. On arrive presque. On pousse une dernière fois sur nos jambes — et sur Elliott — puis le sol devient plat et la porte du manoir se pointe.

"Dément, c'te baraque", fait John.

C'est pas la première fois qu'on vient ici, mais à chaque fois ça l'impressionne. La vieille tour à la gauche du bâtiment semble encore plus ensevelie par les plantes que la dernière fois. Le balcon menace de s'effondrer à tout moment et je jurerais que des planches de bois ont été rajoutées devant les fenêtres.

"Alors Elliott, on a peur ? Allez, fais pas ta chochotte !

- Lâchez-moi..."

On le tire jusqu'à la porte d'entrée. Ses pieds s'arrêtent juste devant le vieux paillasson qui se fond dans la mousse du sol. Je me jette sur la poignée. Par chance, le manoir n'est pas fermé à clé, sinon, on aurait forcé la porte. J'ouvre en grand.

Quand le petit gros voit le trou béant et noir qui l'attend, il essaie de se défendre. Mais Gaston est trop fort pour lui. Il lui fout un coup de pied dans les fesses qui lui arrache un couinement de cochon apeuré. Puis, toute la troupe le balance la tête la première dans la maison. La porte se referme avant même qu'on puisse le voir se vautrer.

"Mais quel idiot !"

Elliott se met à chouiner. Je tape un coup sur la porte pour lui faire peur. Mais qu'il arrête, ses grognements de cochon me dégoûtent !

"T'entends ça, Stan ? Grouik ! GROUIK !

-Dégueu", je rigole.

- Attention, il essaie de s'échapper !"

On se précipite sur la porte pour le bloquer. Elle bouge, tremble ; mais on résiste et, soudain, plus de mouvement.

"Bravo, les gars, lance Gaston en levant la main. Ça va devenir marrant, vous allez voir !"

Je lui tape dans la main et les autres font pareil.

Puis, le premier cri retentit. Je m'attends à entendre les pas lourds d'Elliott écraser le sol du manoir, mais rien ne suit le hurlement.

"Vous croyez qu'il crie à cause des rats ?"

Mais très vite, le sourire sur le visage de John s'efface. Un autre bruit se fait entendre. Et il ne vient clairement pas d'Elliott. Un grognement d'animal retentit, et Elliott hurle :

"Aidez-moi !"

Puis, j'entends comme le son d'un corps s'effondrant au sol, avant qu'il ne se fasse trainer par terre. Je regarde mes amis. Ils essaient de se montrer détendus mais la peur commence à se lire sur les visages. Ce n'était pas censé se passer comme ça. Je leur souris. C'est un manoir abandonné. Il n'y a personne. Pas de quoi s'inquiéter.

"BOUM !"

On sursaute tous. La porte bouge. Personne n'ose intervenir. Étrangement, elle ne s'ouvre pas. Comme si ; comme si...

Lentement, je tends la main. Je fais un pas, puis un autre, le corps tremblant un peu. J'actionne la poignée.

"Cet idiot s'est enfermé à l'intérieur", je dis.

Personne ne s'en amuse. On n'a pas entendu Elliott depuis un moment.

"BOUM !"

Je m'écarte d'un bond. Quelque chose rampe, là derrière. Quelqu'un pleure. Elliott. Il s'arrête dans un bruit d'étranglement.

"Stan..."

Gaston pose sa main sur mon épaule. Je me crispe.

"Partons. Partons, Stan."

Je ne bouge pas. Je ne peux pas. Il me lâche. Je les entends courir. Me voilà seul. Ce qui se passe derrière cette porte en bois me terrifie. Un million d'images défilent dans mon esprit. Un million de doutes et de peur font battre mon coeur.

"BOUM !"

Le bruit d'une respiration résonne. Elle semble difficile, coupée par des quintes de toux. Elle se rapproche.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Mes jambes paraissent comme ancrées au sol. Tous mes muscles se raidissent, et une sueur froide perle sur mon front, dégouline dans mon dos. Les yeux grands ouverts, j'observe la poignée. Elle reste immobile.

Immobile. Immobile.

Mon cœur s'arrête lorsqu'elle s'ouvre. Quelqu'un me fait face. Elliott ! Il me regarde, pâle, les yeux rouges.

Il lève la tête. Ce n'est pas Elliott.

Il tend le bras. Elliott est mort.

Il m'emmène à l'intérieur. Je vais subir le cauchemar d'Elliott.

31Histoires Pour Attendre Halloween 🎃Où les histoires vivent. Découvrez maintenant