- C'est quoi toutes ces choses au bord des trottoirs ? demanda Rory.
Eloïse releva la tête dans sa direction, les mains enfoncées dans les poches de son éternel jean noir.
Ces derniers jours, tout lui semblait étrange. Le AMI qui lui vouait une attention anormale, le mystère des deux dossiers à son nom, la rencontre avec le directeur qui s'était révélée être un piège, puis sa deuxième suspension. Et tout cela n'avait été qu'un début qui avait franchi la barrière du AMI.
Ses pouvoirs avaient disparu.
Le premier ministre de la Cité lui cherchait des problèmes.
Rory lui servait de protection tandis qu'elle était incapable de se défendre.
Et encore, cela excluait toutes les affaires qui concernaient l'Ombre. Les Pierres Élémentaires, le Livre des Miroirs, les laboratoires du Phoenix...
Eloïse en avait mal au crâne.
- Des voitures, répondit-elle.
- C'est ce que vous utilisez pour vous déplacer ?
- Tu te doutes bien qu'il n'y a pas d'arches ou d'équivalent, sur Terre. Les seules Portes des Mondes qu'on a permettent de se rendre sur Thélis et ont été posées par des magiciens.
Rory, vêtu à la façon d'un humain – ce qui ne l'empêchait pas de porter sa veste de Madrigan, d'un vert sombre orné de dorures – ne cessait de regarder avec curiosité et perplexité tout ce qui échappait à sa compréhension. Cela égayait presque le trajet d'Eloïse jusqu'à son collège.
Elle n'avait aucune envie de s'y rendre, mais sécher trop longtemps lui vaudrait des remontrances de la part du AMI.
- Je vois les similarités entre la Terre et Thélis, reprit Rory. On dirait deux facettes d'un même monde, mais qui a évolué différemment à cause de la magie.
- Ça c'est parce que la plupart des inventions humaines proviennent de magiciens qui se croient malins.
- Ah, oui, j'en ai entendu parler.
Beaucoup de magiciens s'étaient rendus sur Terre pour y apporter leur technologie en prétendant que l'invention était la leur. Si l'inverse se produisait peu, les magiciens avaient néanmoins amené le français et l'anglais chez eux après des épisodes de migration vers la Terre. Ils avaient été tellement nombreux que le français avait remplacé le lysirien en tant que langue officielle.
- Tu peux accélérer un peu ? lui intima Eloïse. Te voir t'extasier sur la base de la culture humaine est distrayant, mais je n'ai aucune envie d'arriver en retard.
- Ça va t'apporter des problèmes ?
- Non. De l'attention non désirée.
Rory fronça les sourcils. Ses yeux d'un jaune orangé scrutaient Eloïse avec perplexité.
- De l'attention non désirée ? Ce n'est pas toi la seule humaine magicienne a avoir jamais existé ?
- Justement. Quand je suis en retard, il arrive que mes chers camarades viennent me demander si j'ai accompli je-ne-sais-quel acte de bravoure sur le chemin. Ils plaisantent, mais à la longue ça devient agaçant.
- Les humains te posent beaucoup de questions par rapport à la magie et à Thélis ?
- Presque tous les jours. Je comprends que ça intrigue, mais je ne suis pas une encyclopédie.
- Donc tu sèches régulièrement.
- Gagné, soupira-t-elle.
Maintenant, Eloïse avait prit l'habitude de ne plus répondre aux questions. Quand elle voyait quelqu'un marcher dans sa direction avec l'intention de lui parler, elle s'esquivait ou l'en dissuadait d'un regard noir. Ce n'était pas particulièrement efficace, malheureusement.