30/06 à 15h30 – Eglise de St Surplace (Périsse 6e)
« Si nous sommes rassemblés ici aujourd'hui, c'est pour rendre un dernier hommage à Baudoin. Baudoin était un homme bon, chéri de tous. Je me souviens comme si c'était hier de la première fois qu'on s'est rencontrés. J'étais en retard à mon premiers cours de l'année, je lui suis rentré dedans. Je me suis excusé, il a ri et m'a dit que ce n'était rien. On s'est dirigé vers le cours du Pr. Mangritte, qui nous a puni d'une heure de colle. Depuis ce jour, nous avons su conserver un véritable lien d'amitié qui est resté indéfectible jusqu'au bout.
Après tu m'aies présenté Marie, je t'ai dit : « Mon petit doigt me dit que Marie est la femme de ta vie. Vous formez un couple fabuleux». La suite m'a donné raison. De cette union sont nés Louis et Jeanne.
Tu es parti avant nous, bien trop tôt, et tu nous rappelles qu'ici-bas, notre vie est peu de chose. Je suis très heureux d'avoir partagé avec toi une partie de ta vie. Tu as rendu tant de moments joyeux et uniques. Comment les oublier, alors qu'ils font partie intégrante de la personne que je suis ? Tu étais un ami fidèle et généreux, une personne unique que je continuerais à chérir jusqu'à la fin de ma vie.
Ton départ laisse un vide immense dans le coeur de toutes les personnes réunies. D'ailleurs, j'en profite pour adresser mes plus sincères condoléances à ton père, ta mère, tes frères et soeurs et tous les membres de ta famille.»
Paul acheva son oraison funèbre sur ces mots. Il s'écarta, laissant la parole à Louis, le fils de Baudouin. Il descendit de l'estrade pour reprendre sa place sur le banc. Il avait eu du mal à trouver le sommeil depuis l'annonce de son décès. Son chagrin était inconsolable. Il se souvenait des derniers mots qu'il lui avait adressés. De la main tendue par son ami, qu'il avait balayée. S'il avait su que c'était la dernière fois qu'il aurait eu l'occasion de lui adresser la parole... il aurait dit oui, bien sûr, pas de problème, tu peux commencer demain. Il lui aurait mis une tape amicale dans le dos, et tout serait reparti comme en 40. Sauf que c'était trop tard. La réalité et la culpabilité l'écrasaient. Il était la dernière personne à lui avoir parlé.
Paul eut l'impression de suffoquer. Il sortit de l'église pour prendre l'air. Il se mit à errer, au hasard des rues. Il marchait sans réellement avoir conscience de son environnement et de ses mouvements, son esprit vagabondait. Lorsqu'il reprit ses esprits, il se rendit compte qu'il n'avait aucune d'idée d'où il était dans Périsse. Il regarda son téléphone. Une heure s'était écoulée, et il avait un appel manqué. Il checka son GPS. Il avait traversé la Sône sans s'en rendre compte et avait atterri dans le 8e arrondissement. Il se sentait fatigué, son estomac gargouillait. A bout de force, en quête de repos, il s'attabla dans le premier café venu. L'heure de se sustenter avait sonné. Il commanda une entrecôte-frites et un Perrier, qu'il engloutit d'un mouvement machinal. Il n'avait pas pu se nourrir correctement depuis quatre jours.
La sonnerie de la porte retentit. Bip bip bip. Biiiiip. Bip. Bip. Leila se dépêcha, demanda à ce qu'on patiente, le temps qu'elle arrive. Elle ouvrit la porte. Personne.
...
Le décès soudain de M. De Breuille avait marqué un tournant dans la vie de M. Klein. Il faisait peine à voir, avec ses yeux cernés, son regard dans le vague et ses vêtements débraillés, en totale opposition avec l'allure soignée et fringuante qu'il prenait soin d'avoir jusqu'alors. Nine et Antoine n'avait pas l'air de s'en soucier plus que cela. Ils lui avaient certes présenté leurs condoléances, mais les enfants semblaient indifférents à sa douleur.
Jusqu'ici, M. Klein avait mené une existence légère. Il partait du principe qu'il fallait vivre au jour le jour. Il avait connu des coups du sort, comme tout le monde, ainsi que des décès d'autres proches. Il avait appris, non pas à surmonter ces pertes, mais à vivre avec. Paul savait que la mort l'attendait au bout du chemin – c'est le lot commun des mortels – mais ça lui paraissait lointain. Il s'en sentait détaché. Mais soudainement, elle venait toquait à sa porte pour se rappeler à son bon souvenir.
Cette fois-ci, c'était différent, dans la mesure où il avait une part de responsabilité directe dans le sort qu'avait connu son ami. Un goût atroce envahit sa bouche, il ne tenta même pas de le faire passer. Il savait que ses tentatives seraient vaines.
Paul savait qu'il était un mauvais père. Toujours affairé, pressé, à moitié présent lorsqu'il était là. Eliane lui en avait longtemps tenu rigueur, mais elle ne valait pas mieux que lui. Si les enfants étaient devenus aussi insensibles et insupportables, alors elle en était aussi fautive que lui. Céder à leurs caprices et combler leurs besoins matériels était une chose, leur apporter l'affection et l'écoute nécessaire à leur épanouissement et à leur développement en était une autre. Pourris-gâtés jusqu'à l'os, l'attitude de leurs parents avait sapé toute velléité d'effort en eux. Après tout, ils n'avaient qu'à réclamer pour avoir, sans rien donner en retour, alors pourquoi se casser la tête ?
Sa femme avait délégué l'éducation des enfants à des gouvernantes, leur préférant la compagnie des personnages qu'elle inventait et qui jaillissaient de son imagination pour prendre vie sur papier, dans le calme et la solitude qu'offrait son bureau. L'écriture prenait trop de place dans sa vie pour pouvoir y caler des enfants. Sans compter ce que le métier chronophage d'écrivain impliquait en plus de l'écriture : promotion, interviews, participation à des salons, obligation de résultats après avoir généré des attentes auprès du public et de l'éditeur, la célèbre maison Gaillard, qui avait misé sur elle.
Elle avait réussi à tenir le haut du pavé pendant près de 15 ans sous l'anonymat de son nom de jeune fille, à coups de best-seller et de fulgurances en tous genres. Cela s'était tassé. La page blanche faisait irruption de façon récurrente. Dans un premier temps, elle pensait que ce serait passager. Elle avait sans doute besoin de souffler, faire une pause, voilà tout. Elle tenta de réécrire en changeant de méthode de travail. De structurer ses romans en établissant des trames et des plans, à la manière de son architecte de mari. Au lieu de laisser l'écriture couler comme elle l'avait l'habitude de le faire, au gré de son imagination, et de remiser la structuration à plus tard.
Elle fit des recherches, pour étoffer ses univers, ses personnages, ses récits. Quelque chose continuait à la bloquer, elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Ses textes finissaient systématiquement barrés et raturés. Pour sauver la face, son éditeur lui avait proposé de reprendre les romans qui avaient autrefois fait son succès. Cela marcha une fois, mais pas deux, les lecteurs n'étaient pas dupes. On lui proposa les services d'un nègre, qu'elle refusa net. Elle ne voulait pas s'abaisser à ça. Elle rendit visite à son médecin traitant après avoir pris connaissance de ses derniers chiffres de vente, à la fin de l'année.
...
La sonnerie de la porte retentit. Bip bip bip. Biiiiip. Bip. Bip. Leila se dépêcha, demanda à ce que l'on patiente, le temps qu'elle arrive. Elle ouvrit la porte. Personne.
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La lumière dans l'ombre
Mystery / ThrillerFLASH INFO : Incendie criminel à Sâvres. Le cadavre d'un père de famille et de son enfant ont été retrouvés dans les décombres de leur demeure. Un autre membre de la famille et l'employée de maison sont suspectés. Contactez le numéro suivant si info...