Cahier

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Corto Perón était né à Médrid de parents franco-espagnols. Sa famille s'était installée à Périsse peu avant son 6e anniversaire, pour les besoins du travail de son père. Sa société, la multinationale Madone, l'avait choisi pour remplacer leur directeur financier. La mère, pour passer le temps, avait ouvert une galerie d'art contemporain dans le 6e, rue des Ste Mères. Elle finit par rencontrer un succès d'estime. Ses sélections étaient pointues. L'un des artistes qu'elle avait exposé à ses débuts fut choisi pour une exposition au Palais de Kyoto.

Perón père avait été muté au siège de Boulbi, en proche banlieue périssienne. Tenant à donner à ses enfants, Corto et Almudena, la meilleure éducation possible, il les inscrivit à l'Ecole Bourguignonne. Il fit des pieds et des mains pour les faire accepter. Ils durent passer une sélection en plusieurs phases : entretien oral et écrit, débat entre les candidats, entretien final face à un jury composé du directeur et des professeurs principaux de chaque niveau.

Cette école avait la particularité de réunir le gratin parisien : des professeurs aux élèves, ils faisaient partie de l'élite. Certains professeurs auraient pu choisir de continuer à exercer leur activité de chercheur, ou de donner des conférences ou cours dans des écoles prestigieuses. Mais rien ne valait le prestige de l'Ecole Bourguignonne, la Bourgui, pour les initiés. Les intellectuels, artistes, politiques, chanteurs, sportifs, bref, les personnalités importantes, de gauche comme de droite s'empressaient d'y mettre leur progéniture. La Bourgui faisait l'unanimité.

Le jeune garçon avait passé la sélection. Sa jumelle Almudena, en revanche, avait été mise dans un autre établissement. C'est à la Bourgui que Corto rencontra Nine. Ils étaient dans des classes différentes, mais devinrent amis par le truchement de leur cercle amical. A l'époque, elle était douce et gentille. L'année suivante, tout changea. Corto observa le changement. Il se fit progressivement. Malgré son jeune âge, il était vif. Il comprit que cela était dû à l'absence récurrente de la mère de Nine, Eliane. Il lui offrit sa compagnie, fut présent pour elle. 

Ils devinrent les meilleurs amis du monde. En grandissant, Corto tomba amoureux d'elle, en dépit de son caractère devenu détestable. Son amour demeura à sens unique. Il eut le malheur d'assister à la mise en couple de Nine, à sa rupture, puis au défilé d'énergumènes en tout genre. Tous insipides, inintéressants, pas à sa hauteur. Il patientait. Il attendait que son tour vienne. Au fond de lui, il était convaincu d'être celui dont elle avait besoin. Et qu'elle s'en rendrait compte, un jour.

La mère de Corto insista une fois pour que son fils participe à un rallye. Corto s'y rendit à reculons. Il s'était laissé convaincre par la présence de Nine, qui avait été forcée par sa mère. Nine et Corto avaient passé la soirée entière dans un coin reculé de l'appartement haussmannien, à se moquer du concept de cette soirée. C'était facile de se cacher, dans 350 m2. Un rallye consistait à rassembler régulièrement des jeunes gens de la haute société périssienne, afin qu'ils élargissent leur cercle amical, lors d'une faste soirée dansante. 

On y étalait son opulence, mais avec élégance. Les invités triés sur le volet de ces sauteries se devaient de rendre l'invitation en organisant à leur tour un rallye. Ces réceptions à la classe inhérente étaient déclinées pour les plus jeunes en après-midi, les « rallyes-goûters ». Les mères organisaient des activités culturelles : sorties au théâtre, au musée. Il n'était jamais trop tôt pour les initier aux usages de la bourgeoisie et éveiller leur curiosité en visitant des lieux de culture.

Corto était un mordu de nature et de sport. Sa passion première était la randonnée. Il partait pour Sourcebleau dès qu'il le pouvait. Pendant les vacances, il s'envolait pour Biarritz, le paradis basque du surf. Le surf et la randonnée n'étaient pas la tasse de thé de Nine, mais elle l'accompagnait de temps à autres. Ils en profitaient pour discuter sur des sujets profonds, ponctués par des délires et d'autres moments plus légers et funs.

La lumière dans l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant