La police de La Havane était débordée par les vols à la tire, à l'étalage, les confrontations entre cartels, et le trafic de drogue croissant dans la capitale, pour accorder de l'importance à la disparition de touristes. Caté croyait fermement en l'efficacité de la police cubaine. La professeure attendait qu'on revienne vers elle avec impatience. Elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour retrouver son amie.
Selma pu louer avec une simplicité désarmante une Pontiac Chieftain blanche de 1958. Elle appréhendait la reprise de la conduite. Elle n'avait pas le choix. Pendant le road-trip, elle avait laissé Caté conduire. Caté. Son existence lui était complètement sorti de l'esprit. Il faudrait qu'elle trouvait un moyen de la rassurer. Dès qu'elle serait elle-même en sécurité. La vieille voiture fit cap vers la ville de Matanzas. Il y en avait pour 2h de route, depuis La Havane. A son réveil, Kensakan ne fut pas surpris de trouver la couchette de Selma vide. Son sac à main avait aussi disparu. Le jeune homme avait prévu le coup. Il soupira, à l'idée de la course-poursuite qui s'annonçait. Il aurait voulu que les choses se passent autrement. L'inspecteur avait bien fait de placer un mouchard à l'arrière du col de la chemise que portait Selma.
Pas le temps de traîner. Il consulta l'application de géolocalisation pour repérer l'endroit où la fugitive s'était rendue. L'inspecteur se rendit dans une agence de location, sur le Malecon. Il emprunta pour la journée une Ford Fairline verte. Le prix de la location le fit grincer des dents. Jusqu'à ce que le jeune homme se rappelle qu'elle serait comptabilisée dans ses notes de frais.
Matanzas était une ville côtière, tournée vers le Sud des Etats-Unis. Depuis son port, les bateaux emportaient la canne à sucre, l'acheminant vers d'autres pays. Matanzas le drôle de sobriquet de « ville au pont ». Ce sobriquet venait des 17 ponts qui y avaient été construits, pour faire la liaison entre les rives séparant les endroits de la ville traversés par le fleuve Canimar, Yumuri, et San Juan. En japonais, le mot Yumuri signifiait lumière.
Selma ouvrit la portière côté conducteur de la voiture. Elle venait de se garder dans un parking attenant à un hôtel quatre étoiles, « El Sonrisa », du centre de Matazas. La fugitive ne se sentait pas très bien. Elle avait été secouée par le passage sur les pavés couvrant les rues de la ville. La jeune femme se rendit à la réception, pour demander à l'agent de l'accueil si il leur restait des chambres pour la nuit. Bien sûr, lui répondit-on. En arpentant le couloir du 2e étage, où se trouvait sa chambre, elle croisa une famille. Selma tourna la clé dans la serrure. La chambre était spacieuse, plus confortable que le hangar où elle avait séjourné ces derniers temps. Elle s'assit sur le matelas du lit double. Il était moelleux, propice à un sommeil réparateur. La jeune femme se sentait sale. Elle prit une douche bien chaude, avant de se laisser emporter par les bras de Morphée.
A son réveil, il était 15h. Elle était affamée, mais avait récupéré. Selma se rhabilla avec les affaires prêtées par Kensakan, les siennes étant maculées de sang séché. Elle ferait une lessive improvisée avec les moyens du bord plus tard. Elle achèterait des vêtements neufs après avoir déjeuné. L'inspecteur ne réitérerait pas son erreur de la dernière fois. Planqué devant l'hôtel de Selma, il savait au mètre où elle se trouvait. Il la coincerait lorsqu'elle serait de retour, dans le couloir. Elle finirait bien par sortir se restaurer. Ça limiterait les options de fuite. Physiquement, il était plus grand et fort qu'elle. La jeune femme ne parviendrait pas à contre-attaquer ou à s'échapper.
Selma avait envie de manger mexicain. L'idée de tacos lui trottait en tête. Elle trouva une adresse bien notée sur Google : El Pueblo avait reçu la note de 4,3/5, sur une moyenne de 2100 avis. Le restaurant à la devanture rouge et jaune, avec « El Pueblo » inscrit en lettres majuscules dorées sur le panneau placé au dessus de l'entrée, était situé à 10 minutes à pied de son hôtel. Parfait, cela lui ferait du bien de se dégourdir les jambes. Elle déjeuna de 5 tacos au poulet, agrémentés d'un mélange de tomates, d'oignons et d'une sauce à la recette secrète au goût piquant. Ils mirent le feu à son palais. Elle commanda un verre de lait pour l'apaiser.
Selma comprenait l'attrait des clients. Le restaurant aux 50 couverts était victime de son succès, elle avait réussi à trouver une place uniquement parce qu'elle n'était pas accompagnée. La fugitive regretta son repas sitôt qu'elle l'eut fini. Elle n'avait pas eu le sens de la mesure, ce coup-ci. Elle avait trop mangé par gourmandise. Ça lui rappelait l'époque où, enfant, elle cachait des paquets de gâteaux dans son armoire. La jeune femme se dit qu'une balade digestive ne lui ferait pas de mal.
Elle prit sur sa droite en sortant d'El Pueblo. Selma continua tout droit pendant un certain temps. En relevant les yeux, elle constata que ses jambes l'avait portée jusqu'à une falaise, qui surplombait la baie de Matanzas. Elle avait atterri là sans s'en rendre compte. La vue était agréable, on voyait les bateaux au loin. La mer était calme, le ciel bleu traversé par de gros nuages aux formes improbables. Elle cru discerner la forme d'un donut. Un autre ressemblait à un dragon. Les navires flottaient et avançaient doucement, jusqu'à ne devenir que des points, avant de disparaître de l'horizon.
Pendant ce temps-là, l'inspecteur avait poursuivi sa filature. En la voyant s'enfoncer dans la forêt, il jubilait. Elle était en train de rendre les conditions de sa capture idéales. Le jeune homme s'arrêta un instant pour mettre la bague au rubis rouge à son majeur. C'était plus prudent. Il aurait pu la perdre dans la course.
Après avoir observé le spectacle des bateaux allant et venant pendant 40 minutes, Selma décida qu'il était temps de rentrer. Les poils de Selma se hérissèrent. Ses pupilles se dilatèrent. Son pouls s'accéléra. Son cœur battait à tout rompre. La peur se dessina sur le visage de Selma. Kensakan était sorti brusquement des feuillages, pour se poster devant elle. Il barrait le passage. En entendant les buissons bruisser, elle s'attendait à voir apparaître un jutia, petit rongeur présent dans les forêts de Matanzas, ou un autre animal. Pas à ça. Elle recula d'un pas, se rapprochant du bord de la falaise. Kensakan prit la parole d'une voix rassurante :
- Selma, je ne te veux aucun mal. Crois moi. Regarde, je ne suis pas armé. Il vida ses poches sous les yeux apeurés et suspicieux de la jeune femme.
Il poursuivit :
- Ecoute, si je l'avais voulu, j'aurais pu te faire du mal ou te livrer à 1000 reprises. J'aurais pu contacter mes collègues après l'incident de la Bodeguita. J'aurais pu téléphoner à la police de La Havane, et t'abandonner, menottée, dans le hangar. J'ai pansé ta plaie, je suis resté auprès de toi, je t'ai nourrie.
Selma n'en croyait pas un mot. A tous les coups, c'était un piège tendu pour mieux gagner sa confiance et finir par l'attraper. Elle culpabilisait d'avoir manqué de prudence, en dépit de la situation. Qu'est-ce qu'elle était conne.
Le jeune homme fit une dernière tentative :
- J'ai même volé une preuve sous scellé. Ta bague rouge. Je sentais qu'elle revêtait une importance particulière à tes yeux.
Selma se sentait bête, bête, bête à nouveau d'avoir commis une grave erreur. Son erreur l'avait menée au bord de cette foutue falaise, à l'embouchure du fleuve Yumuri, qui s'y déversait dans la mer des Caraïbes. Elle avait creusé son propre tombeau. Il n'y avait pas d'avenir possible. La cavale était une chimère.
Kensakan fit un pas vers elle. Elle aperçut la bague au rubis rouge au majeur de l'inspecteur. Sa vue provoqua la montée d'un fou rire incontrôlable. Selma se laissa tomber dans le vide.
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La lumière dans l'ombre
Mystery / ThrillerFLASH INFO : Incendie criminel à Sâvres. Le cadavre d'un père de famille et de son enfant ont été retrouvés dans les décombres de leur demeure. Un autre membre de la famille et l'employée de maison sont suspectés. Contactez le numéro suivant si info...