Laurent Klein avait été convié au dîner de famille, quelques jours auparavant. Il arriva avec 45 min de retard. Son téléphone n'ayant plus de batterie, en l'absence de batterie portable et de câble pour le charger, il ne put les prévenir. Laurent Klein se gara dans l'impasse. Il fut le premier à débarquer sur les lieux après la catastrophe. Il s'était précipité, ayant vu le feu de loin. Avec précaution, il emprunta l'allée encore praticable. Il déboucha sur la terrasse et le jardin. Antoine était allongé dans l'herbe, inconscient, blessé par balle.
Le corps d'Antoine et ses vêtements présentaient des brûlures au 1er et 2e degrés. Laurent appela les urgences, avant de se raviser, pendant les 6 minutes d'attente du standard. L'hôpital le plus proche était celui de Guariche. Ses amis Jaumière et Darmon y exerçaient. Avec plus de 30h de garde dans les pattes, ils risquaient de commettre des erreurs en opérant son neveu. Pas question de le confier à des chirurgiens trop fatigués pour travailler de façon correcte. Il allait le soigner lui-même.
Son oncle le porta sur son dos jusqu'à son véhicule, et l'allongea sur la banquette arrière.
Dans la voiture, en écoutant les nouvelles, il apprit qu'Antoine était recherché et suspecté par la police. Il ne connaissait pas tous les tenants et aboutissants. Malgré tout, en son âme et conscience, il prit la décision de ne pas remettre la famille qui lui restait aux mains de la police. Ce soir là, il était libre. Chez lui, il serait capable de soigner ses brûlures convenablement, mais pas le reste, au vu des maigres moyens dont il disposait. Il avait un respirateur artificiel, qu'il s'était procuré suite à la contraction d'un virus qui s'était propagé lors d'une épidémie. Laurent avait en horreur l'idée d'être hospitalisé.
Il n'avait pas le temps de tergiverser. Il appliqua une compresse sur la plaie. Cela devrait suffire d'ici à ce qu'il revienne. Il fit un aller-retour entre son domicile et l'hôpital de Pompifort. Il devait chercher du matériel pour l'opérer, et vite : il n'avait aucune idée de l'ampleur des dommages internes occasionnés par la balle. Tandis qu'il courait à toute vitesse dans les couloirs, il manqua de justesse de rentrer dans un homme allongé sur un brancard.
Pas de temps à perdre à s'excuser, M. Klein continua à progresser jusqu'à la salle où était entreposé le stock de matériel. L'inventaire serait effectué le mois suivant, ce qui lui laissait largement le temps d'en racheter dans un magasin spécialisé dans la vente de matériel médical. La transaction serait réglée en espèces pour éviter d'éveiller tout soupçon. Il repéra l'étagère et le tiroir où se trouvaient ce qu'il était venu chourer : gants, masque, anesthésiant, désinfectant, scalpel, fils résorbables et aiguille, pinces, ciseaux, tensiomètre, charlotte. Il rafla le matériel, fourra le tout dans son grand sac de sport en tissu gris. Dans la précipitation, le cinquantenaire fit chuter des bouteilles d'alcool qui répandirent leur contenu à terre, et des plateaux en fer. La chute provoqua un énorme vacarme. Merde ! Tant pis. Il fila aussi rapidement qu'il était arrivé. Sans bousculer personne, cette fois-ci.
Une fois rentré, Laurent transporta Antoine du canapé à la table de la salle à manger, préalablement débarrassée et nettoyée à l'alcool. Par chance, son neveu était léger, la tâche du transfert fut aisée. Il l'allongea, lui retira prestement ses vêtements. Il fit un rapide examen : il n'y avait pas de trace de sortie du corps. La balle était encore à l'intérieur d'Antoine. C'était une bonne nouvelle. Cela signifiait qu'elle s'était logée quelque part, donc que seuls certains organes avaient été atteints. La mauvaise nouvelle, c'était qu'il y avait de fortes chances que la balle ait provoqué une hémorragie interne.
M. Klein situa son entrée au niveau du côté bas-droit de son abdomen. Contrairement à ce que l'on voyait dans les films, il ne fallait surtout pas retirer la balle. Le retrait serait fatal à Antoine, les artères étant comprimées par le projectile. L'organisme s'adapterait en entourant le corps étranger d'un kyste de tissu conjonctif. Il prit le scalpel pour retirer les éclats – s'il y en avait, il n'avait pas de radio pour vérifier – , posé sur la table, près du bras d'Antoine, s'assura que son masque et sa charlotte étaient correctement en place. C'était du quitte ou double. Laurent se mit à l'ouvrage.
L'opération était un succès miraculeux. Pour le moment. La large plaie cousue et bandée allait nécessiter une surveillance constante. L'environnement dans lequel Antoine avait été opéré était non-stérile, ce qui entraînait un gros risque d'infection. Qui pouvait conduire, dans le pire des cas, à une septicémie, qui entraînerait la mort. A son réveil, Antoine ne devrait faire aucun mouvement brusque, sinon la plaie s'ouvrirait.
Son oncle alterna ensuite entre vérification de l'état d'Antoine et suivi de l'actualité. Il était stabilisé. Laurent attendit le réveil d'Antoine pour clarifier la situation. Que s'était-il passé ? Comment en étaient-ils arrivés là ? Paul avait-il des ennemis prêts à se venger de la sorte ? Des questions fusaient à toute allure dans son esprit. Il se servit un verre de Chivas frappé sur des glaçons.
Laurent Klein était le frère aîné de Paul Klein. Ils avaient une dizaine d'années d'écart, ce qui n'avait pas facilité leurs relations. Leur écart d'âge était trop grand pour qu'ils puissent être proches. Paul menait une vie d'écolier, tandis que Laurent étudiait la médecine à l'université Irène Curie. Malgré tout, il avait de l'affection pour son petit frère.
Une douleur atroce réveilla Antoine le lendemain vers 11h. Désorienté, il ne savait pas où il était. Il demanda à son oncle, affolé, le visage déformé par la souffrance :
- Tonton ?? Qu'est-ce que je fais chez toi ?!!
- Il y a eu un incendie chez vous, je t'ai trouvé dans l'herbe, près de la terrasse. Je t'ai ramené ici, à Périsse.
- Quoi ? Mais comment, pourquoi ? Tout le monde va bien ?
- ...
Son oncle Laurent était désarçonné. Il ne s'attendait pas à cela. C'était lui qui avait besoin de réponse. Il y eut un long silence. Laurent le brisa :
- Ecoute, je ne sais pas comment te dire ça sans te heurter... ils sont tous morts.
- ...
Antoine le regarda avec des yeux vides, anesthésié, sans comprendre :
- Comment ça.. morts ?
- Ton père et ta sœur ont péri dans l'incendie. Votre employée de maison a disparu. Vous êtes tous les deux recherchés.
- ...
Antoine se tint la tête de toute ses forces. Il se boucha les oreilles. Un cri d'animal blessé, émanant du plus profond de ses entrailles, sortit. Le jeune homme éclata en sanglots. Les larmes coulèrent comme un torrent. Il parvenait à peine à articuler, d'une voix à peine audible, en boucle :
- C'est..pas...possible, c'est.. un..cauchemar..C'est..pas..possible..
Son oncle tenta de calmer son agitation, pour éviter l'ouverture de la plaie. En vain.
Il devait absolument lui faire avaler ses antibiotiques.
Laurent partit chercher un verre d'eau dans la cuisine, laissant Antoine sur le canapé. Il lui laissait le temps de réaliser et de se calmer.
Le lendemain, le corps d'Antoine s'activa. Il tremblait, transi de sueur. Son lobe frontal était enserré, il sentait de fortes pulsations. Il avait l'impression qu'on lui martelait le front à coups de pic à glace. La télé tanguait, le tableau, le fauteuil Chesterfield, les cactus tournaient autour de lui. Il se sentait vaciller. Antoine était pris de maux de têtes et de vertiges. Il sentait avec une vive acuité sa plaie à l'abdomen. Il avait l'impression d'avoir un trou béant à place. La douleur était atroce. Son organisme souffrant et faible réclamait de la drogue.
Antoine n'émit pas un son pendant une semaine. La plaie ne s'était pas réouverte. Elle guérissait lentement, mais sûrement. Son oncle Laurent la nettoyait à la Bétadine 2 fois par jour, la recouvrait d'un pansement propre. La plupart du temps, son neveu restait prostré dans le salon, les jambes repliées sur lui, le dos voûté et la tête posée sur ses genoux. Ce qui était compréhensible. Il avait tout perdu en une nuit : sa vie, sa famille, son toit. Ses derniers souvenirs remontaient à Bercelune. Plus précisément, son dernier souvenir était le repas qu'il avait pris avec Leila et Nine au restaurant de l'hôtel. Après, c'était le trou noir. Antoine avait beau se creuser la tête, se torturer l'esprit : rien.
Parfois, il était agité par les crises de manque. Après 3 semaines de sevrage, il n'était plus que l'ombre de lui même. Quatre mois de sa vie avaient été effacés de sa mémoire. Envolés, partis en fumée.
Pendant ce temps, la police progressait dans son enquête. La découverte de nouveaux éléments avait éclairé l'affaire d'un jour nouveau.
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La lumière dans l'ombre
Mystery / ThrillerFLASH INFO : Incendie criminel à Sâvres. Le cadavre d'un père de famille et de son enfant ont été retrouvés dans les décombres de leur demeure. Un autre membre de la famille et l'employée de maison sont suspectés. Contactez le numéro suivant si info...