Journée cocooning

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Corto resta dormir chez les Klein. Le lendemain, ils furent rejoints par Estée Wurt. D'origine franco-allemande, Melle Wurt était née d'une mère allemande et d'un père français. Ils avaient fait le choix d'adopter le nom de la mère, pour le prestige et l'honneur. Les parents Wurt étaient magnat de l'immobilier et journaliste de leur état. Ils accordaient à leur fille unique une grande liberté.

On aurait presque pu appeler cela du laxisme, mais ce n'était pas le cas. Ils avaient des principes bien définis et passaient des accords tacites entre eux. Elle faisait ce qu'elle voulait, tant qu'elle ne nuisait pas au nom et à la réputation du clan Wurt, et qu'elle se maintenait dans le top 3 de sa classe. Et qu'elle rentrait avant minuit. Ou qu'elle les tenait informés de son retard ou absence, le cas échéant. Le trio était au complet, fin prêt à entamer leur journée cocooning.

Le chauffeur d'Estée les déposa au centre de Périsse, devant le Maurice. Le portier s'empressa de leur ouvrir la portière, de leur faire une courbette, et de les laisser passer. Ils venaient prendre le brunch du dimanche. Ils avaient hâte de s'attabler devant un festin dominical. 

Côté boissons chaudes, Estée opta pour un chocolat chaud à l'ancienne, Nine pour un thé Daman sœurs, et Corto pour un chocolat viennois. En jus, ils choisirent respectivement deux jus d'orange : un avec et un sans pulpe pour les filles ; Corto préférait un pamplemousse pour son acidité. Corto et Nine étaient team pain au chocolat, Estée plutôt croissant. Ils s'accordaient sur un point : les viennoiseries de Cédric Grolet étaient exquises et inimitables.

Elles avaient un feuilletage sans pareil, aérien et alvéolé. On sentait la saveur du bon beurre. Une fois le premier round terminé, ils se levèrent pour attaquer le 2e round : le buffet. L'adversaire était de taille. Les produits présentés étaient tous plus alléchants les uns que les autres. Gargantua et Pantagruel auraient été ravis autant par la quantité que la qualité : caviar osciètre et caviar béluga de chez Kaspia, accompagnés de leurs blinis, saumon sauvage d'Ecosse et de Norvège, truffe blanche du Piémont, homard royal bleu de Norvège, pâtes à la poutargue, bœuf de Kobé.

Nine était transportée par le goût fin et iodé du caviar, équilibré par la rondeur, le moelleux et le gras des blinis. Elle les savoura sans retenue.

On leur proposait également des œufs, préparés de diverses manières : mimosa, bénédictine ; cuisinés à leur convenance : brouillés, sur le plat, en omelette, à la coque, pochés. Ils pouvaient être accompagnés de plusieurs garnitures : bacon, fromage aux fines herbes, champignons, tomate grillée, jambon de Périsse, saucisses de veau.

Le clou du spectacle, le summum du buffet, résidait dans les pâtisseries. Ils hésitèrent, puis choisir chacun une pâtisserie : une noisette, une pomme et une mangue.

Cédric Grolet créait des œuvre d'art comestibles. Cela faisait de la peine de les détruire pour pouvoir les déguster. Il avait mis au point une technique de trompe l'oeil. Il élaborait des noisettes, des mangues, des grains de café, des amandes, des pommes, des fraises, des pains perdus, des clémentines. Ses imitations ressemblaient à s'y méprendre aux originaux.

 Il réalisait les coques avec du chocolat blanc peint à la bombe alimentaire, des moules spécifiques. L'intérieur était garni de plusieurs textures différentes : mousse qui fondait en bouche, praliné qui caressait la langue, croquant qui à chaque croc inondait le palais, biscuit et génoise qui bataillaient pour régner sur le royaume des sens. Le résultat : une explosion de saveurs en bouche. 

Par miracle ou par maîtrise, elles parvenaient à rester distinctes. On ne pouvait qu'être époustouflé par une simple bouchée. C'était un travail d'orfèvre qui nécessitait des centaines d'heures de recherche, d'élaboration, de mise en place, d'exécution, jusqu'à l'aboutissement à la création finale. Il était difficile de croire qu'autant de talent était concentré en un seul être. Il était assisté par une brigade de cuisiniers, bien sûr, mais demeurait le chef d'orchestre. Les gourmets en pleuraient de bonheur, leurs papilles réclamaient à corps et à cris une autre œuvre du chef. Nine, Estée et Corto cédèrent aussi.

La lumière dans l'ombreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant