L'entrée du parc laissait pendre, à sa droite, une poubelle déchiquetée sans doute par quelques rongeurs en mal de réserves. Les allées étaient formées de graviers rouge et délimitées par une rangée de pierres toutes différentes les unes des autres. L'herbe tentait de percer à travers les petits rocs mais il semblerait qu'un jardinier ne leur en laissait pas l'opportunité. Le gazon ne dépassait jamais une certaine hauteur et sa couleur était toujours vive, même lorsqu'il se retrouvait gelé sous la neige en hiver. L'homme qui s'occupait de River Square était en fait un vieux retraité paysagiste qui ne s'était jamais résolu à quitter ce métier qu'il aimait tant. Il s'était occupé de bien des jardins et depuis dix ans maintenant il avait la charge de ces 15 hectares réaménagés autour d'une rivière nommée la Fourbière. Noémie marchait en regardant ses pieds jusqu'au pont puis releva les yeux afin de contempler comme souvent la légère cascade provoquée par le dénivelé qu'avait fait Monsieur Rami. À cet endroit le courant prenait forme pour se calmer quelques mètres plus bas. Elle passait par le parc chaque jour pour rejoindre son lycée. Elle restait, là, accoudée sur le bois jusqu'à la fin de la musique que dispensaient ses écouteurs intra-auriculaires. Ils étaient fermement enfoncés dans ses oreilles, leur couleur rouge métallisé n'apparaissait pas, cachés sous son bonnet en coton gris perle. Sa frange et quelques une de ses mèches de cheveux dépassaient. Elle était dans son monde, elle sentait les lames trembler doucement lorsque d'autres personnes passaient sur le pont. Pas tellement à la réalité mais sans en être totalement déconnectée, c'est ce qu'elle aimait. Les vibrations se firent plus fortes, sans doute des jeunes qui chahutaient mais elle sentit soudain quelqu'un s'aplatir dans son dos. Agacée d'avoir été bousculée et coupée dans son rituel matinal, elle se retourna :
- Vous n'avez rien d'autre de mieux à foutre les mioches ?
Elle n'entendit pas les excuses que la jeune fille lui faisait toute éhontée, elle rejoignit son petit groupe qui semblait se moquer d'elle de surcroît. Noémie tira sur ses vêtements comme si tout cela l'avait débraillée. Elle reprit le chemin du bahut en traînant les pieds. C'est la rentrée de janvier, l'air froid pinçait tout le monde mais elle ne semblait pas en souffrir.
- Mais qui voilà ? Noé !
- Salut les gars, ça va ?
Elle s'approcha de celui qui l'avait interpellée pour lui faire la bise, et enchaîna avec la petite bande. Elle finissait avec Linda, mais au lieu de répéter une énième fois l'embrassade habituelle, elle lui prit la cigarette à la bouche et en tira une bouffé dont elle laissa échapper lentement la fumer alors que son amie râlait :
- J'adore la façon que tu as de me dire bonjour ! Poser tes lèvres sur les miennes via ce mégot.
- Oh tu sais y'a pas plus sensuel.
Elles se mirent à rire.
- Mais tu n'avais pas arrêté ?
- Si regarde !
Noémie jeta, le peu qu'il restait de la cigarette, d'un geste maîtrisé dans le caniveau.
- T'es sérieuse là ? Tu me dois au moins vingt cents quoi !
- Tu es trop accro, c'est pour ça que ça n'a pas marché nous deux ahah.
Son amie faisait la moue et les autres la charriait, elle déclara forfait en les suivant pour rejoindre la salle de cours. Des mathématiques, la leçon préférée des élèves de Terminale S : les nombres complexes. C'était parti pour deux heures intensives, Noémie semblait dépitée face à un exercice.
- Seb' j'n'y comprends rien du tout, avec ces « z » de partout la seule chose qui me vient à l'esprit c'est de crier Zorro pour qu'il vienne me sauver...
La professeur qui n'était pas loin, ria doucement à ces mots, avant de lui proposer de l'aide. La sonnerie de la récréation fut salvatrice. Comme à leur habitude, la petite troupe squattait un endroit en retrait afin de pouvoir fumer en cachette pour les adeptes. Les conversations tournaient autour des vacances de Noël. Ce groupe était composé de trois filles et deux mecs. Eric et Camille étaient en couple depuis la seconde. Sébastien et Noémie se connaissaient depuis leur plus jeune âge, leurs parents étant voisins et amis de longue date, de plus Seb' était le meilleur pote de Eric. Linda s'était greffée à leur groupe l'année dernière lorsqu'elle s'était brièvement intéressée à Noé. Leur cohésion ne faisait pas de doute et était parfois enviée par les autres, mais ils s'en contrefichaient. Ils discutaient lorsqu'une jeune fille apparue dans leur champ de vision.
- Qu'est-ce que tu fous là ? Lança Seb'.
- Je, euh, je cherche le CIO.
- Ça fait six mois que t'es là et tu ne sais toujours pas où ça se trouve ? Relevait Camille.
Elle baissa la tête et Noémie la reconnue. C'était celle qui avait troublé sa tranquillité plus tôt.
- Qui t'envoie ? Enchérit-Camille.
- Pe-personne je suis en 3ème de l'autre côté et je ne connais pas cette partie...
La pause finissait, les cinq jeunes gens se mouvaient en direction de leur bâtiment.
- Les gars je vais l'accompagner, dites à Mme le tromblon que j'aurai un peu de retard.
- Tu vas te faire défoncer Noé !
- J'ai l'habitude ahah. Suis-moi...
Silencieusement elles avançaient en direction du réfectoire des lycéens, le contournaient pour arriver devant une petite porte vert-pomme.
- Voilà nous y sommes. Tu sauras retourner en classe ?
Elle hocha de la tête pour acquiescer. Leur chemin se sépara à cet instant. La raison pour laquelle Milène devait s'y rendre était futile mais lui était inconnue, en effet son professeur d'anglais avait un faible pour la responsable. Il envoyait occasionnellement ses élèves pour porter un billet doux. Une fois l'enveloppe remise, elle se dépêcha de rebrousser chemin. Elle vit que la personne l'ayant accompagnée avait rejoint le petit abri.
- Tu ne vas pas en cours ?
- Je l'ai habituée à de plus gros retards, je n'ai pas envie de la décevoir.
La plus jeune gloussa.
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De l'autre côté du pont
RomanceDe l'adolescence à l'âge adulte Milène se découvre en suivant un fil rouge qu'elle ne maîtrisera pas toujours. Entre subjectivité et omniscience se brode la romance.