Subjectivité 02

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Je n'ai pu retenir mon rire face à sa rhétorique. Ses yeux sont d'un sombre pénétrant, son regard m'intimide alors je baisse le mien.

- Hey, c'est quoi ton prénom ?

- Milène...

Ma voix n'est pas très forte car le froid me saisit la gorge, ce qui m'étrangle presque. Je vois des chaussures face aux miennes.

- Je ne t'ai pas entendu

Je me répète, elle complimente mes parents d'avoir eu l'idée de me permettre de porter un si joli prénom. Je rougis et le froid me saisit de moins en moins.

- Je pense que je vais me faire taper sur les doigts...

- Pour le retard ? Ne t'en fais pas je vais te raccompagner.

Je la trouve très sympathique voire même gentille avec moi. Son jeans est troué au niveau du genou droit, je me demande comment elle peut porter ça avec des températures pareilles. Je n'ose pas parler mais je me lance.

- En quelle classe es-tu, toi ?

- Terminale S.

- Ah je n'aime pas les maths...

- Ce ne sont pas les maths ou la physique qui m'intéressent, mais la SVT et la chimie ne me déplaisent pas.

- Ah...

Je ne sais pas quoi dire de plus.

- Tu verras, au lycée tu auras l'occasion de faire des choses qui te plairont davantage.

- J'espère.., Noé ? Ça vient d'où ? Ça ne fait pas très féminin.

- Noémie.

Sa réponse est détachée, je l'embête peut-être, elle doit me prendre pour une pauvre gamine écervelée. Surtout depuis que Carène m'a poussée contre elle.

- Je suis... désolée pour ce matin...

- Je sais, tu t'es déjà excusée. Puis il semblerait que tes amis ne soient pas étrangers à l'incident.

- Ce n'était pas volontaire et j'ai perdu l'équilibre, heureusement je ne t'ai pas fait tomber dans ma maladresse.

- Oui, heureusement pour toi, qui sait ce qu'il te serait arrivé.

Ses yeux me transpercent, je ne sais pas où me cacher, il n'y a qu'elle et moi.

- Je plaisante, détends-toi.

- Pfiou, j'ai cru que tu étais sérieuse un instant.

Je me remets à glousser. Nous atteignons la partie collège, elle me raccompagne jusqu'à ma salle.

- À une prochaine qui sait.

- Je ne sais pas ce que je vais dire...

- La vérité, ils sont tous au courant pour M. Pichan.

Je ne comprends pas vraiment à quoi elle fait allusion et je crois qu'elle perçoit mon incrédulité. Elle frappe et me pousse à entrer, elle laisse dépasser sa tête.

- Je vous rapporte Milène, elle livrait une lettre de son prof de français.

- Ah ! Merci Noémie de l'avoir guidée au retour, tu veux un mot pour ton cours ?

- Avec plaisir !

Je comprends mieux pourquoi elle m'a raccompagnée, je suis son alibi. Sa malice n'a donc pas de limite, j'aime à croire qu'elle ne l'a pas fait que pour cela... Sans savoir vraiment pourquoi je pense à cela. Le papier en poche, elle me fait un clin d'oeil et disparaît en fermant la porte. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive mais je ressens un vide soudain. Je ne suis pas bien jusqu'à la fin du cours.

Je ne mange quasiment pas à la cantine. Je la vois dehors, au lycée ils sont libres de sortir à la pause méridienne mais moi je dois me coltiner ce steak haché purée du second jeudi du mois. Tu parles d'un renouvellement des plats. Carène me touche le bras avec le manche de son couteau à pointe ronde.

- Tu regardes quoi dehors ?

- Mmh ?

- C'est la fille de toute à l'heure non ?

- Oui c'est elle...

- Qu'est-ce qu'il t'arrive, on dir-

- J'envie leur liberté c'est tout.

Je détourne mes yeux pour triturer mon assiette pleine sans en prendre une fourchette. Nathan passe devant notre table et me demande s'il peut prendre du rab' en voyant que je n'allais définitivement pas ingurgiter le moindre centimètre cube de ce déjeuner. Je me lève alors pour lui laisser carrément ma place. 

De l'autre côté du pontOù les histoires vivent. Découvrez maintenant