Chapitre 8

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Pensais-tu vraiment que j'ignorerai ton retour ?

          Quelqu'un l'avait prévenu. Quelqu'un est allé rapporter son arrivée à Kaizzar, mais qui ?

J'ai de nombreux amis à Travia. Tu le sais, pourtant.

          Et s'il s'agissait de Dame Onore ? Son amitié pourrait profiter à Kaizzar. Elle savait tout ce qui se passait au sein du Château, connaissait tout le monde, s'occupait en particulier des jeunes Sortceliers et Premiers. Si ce n'était pas elle, il s'agissait peut-être d'une personne dont elle n'avait pas connaissance, qui était là à son arrivée, ou aux alentours du bureau de l'intendante. Qui que ce soit, elle se savait maintenant surveillée. Epiée. Ses moindres faits et gestes peut-être observés.

          Elle avait marché le plus lentement possible, comme vers sa mort, refaisant le chemin inverse jusqu'aux portes du Château devant lesquelles elle s'arrêta, incapable de faire un pas de plus. Elle craignait que ses jambes se dérobent sous son poids si elle tentait de faire un mètre de plus. Insensibles à sa détresse, les passants la contournaient, pressés ou perdus dans leurs pensées. Romulée n'avait pour seule compagnie que le griffon qui l'avait suivie et la fixait intensément.

- Est-ce que tu sais ? Murmura-t-elle en posant une main sur un mur.

          Il pencha la tête sur le côté en claquant du bec. Dès qu'elle pensa à lui expliquer, les lames froides dans sa têtes vinrent la piquer de leur pointe, la faisant siffler entre ses dents en se courbant.

Tu n'en parleras à personne.

          Pas même au Château.

- J'ai peur...

          Son chuchotement se perdit dans l'immensité du couloir, inaudible même pour le griffon. Elle n'avait pas peur, elle était terrifiée. Une terreur qui se mêlait à sa haine, faisant battre son cœur si fort qu'elle le sentait dans tout son corps.

          C'est dans un état second qu'elle continua sa route qu'elle connaissait sans avoir à y penser, naviguant dans les rues sans voir les marchands et les touristes. Que lui réservait-il ? Allait-il immédiatement la mettre au travail ? L'empoisonner à nouveau ? Et si elle mourrait ? Elle n'était après tout qu'une expérience. Vouée à l'échec, un miracle en cas de réussite, mais d'abord et avant tout un brouillon pour le véritable chef d'œuvre.

          Bien trop vite, elle se trouva devant la porte, moins accueillante que celles ouvrant sur les enfers. Elle déglutit, priant tous les dieux connus pour ne pas souffrir, pour ne pas mourir, pour qu'il soit de bonne humeur ou même qu'il ait trouvé un autre sujet. Une lourde culpabilité lui pinça brièvement le cœur à cette dernière pensée, mais la douleur resta fugace. Elle ne souhaitait son traitement à personne. Mais si elle pouvait échanger sa place, elle le ferait. Sans la moindre hésitation. Peut-être que les remords la poursuivraient jusqu'à la fin de ses jours, toutefois, elle préférait cela et être vivante, en bonne santé, que souffrir jour après jour en regrettant d'avoir protégé quelqu'un d'autre.

          Elle frappa trois coups, si faibles qu'elle ne pensait pas qu'ils puissent être entendus de l'intérieur, l'espérait même, mais la porte s'ouvrit immédiatement, comme si on l'avait attendue planté derrière la porte.

          Levant la tête, elle croisa le regard mauvais de Maître Kaizzar, qu'un sourire de requin faisait scintiller d'un éclat malveillant.

- Romulée, enfin te voilà, ronronna-t-il. Entre. Nous ne t'attendions plus.

          Nous ? Elle n'osa pas l'interroger alors qu'il attrapait son épaule d'une main ferme pour la guider à l'intérieur où une puissante odeur de cuisine flotta jusqu'à ses narines, la faisant frissonner. Elle sursauta lorsque la porte se referma dans son dos, rentrant un peu plus la tête dans ses épaules. Le "nous" devint clair quand elle vit attablé le Docteur Alxon sirotant une tasse fumante comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. A son approche, il leva sa boisson avec un sourire en coin avant de se détourner d'elle sans lui porter plus d'attention.

Romulée Potter : MearahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant