Romulée Potter : Mearah

Chapitre 45

"Nous rappelons à tous nos citoyens que cet homme est extrêmement dangereux et un maître manipulateur. Si vous le voyez, n'engagez pas et contactez les autorités."

          N'ayant rien à faire aujourd'hui, et surtout rien envie de faire, Romulée s'était installée confortablement devant la télévision où, entre chaque programme, le visage de Kaizzar passait avec sa description et quelques exemples de ses méfaits confirmés et supposés. Elle ne pensait pas que le Lancovit prendrait de telles mesures pour le retrouver. Depuis qu'elle était arrivée sur AutreMonde, elle n'avait jamais vu un seul avis de recherche semblable à celui-ci et c'en était presque effrayant. Elle pourrait presque se croire dans un film...

- Qu'est-ce qui est arrivé à Giovo ? Demanda-t-elle soudainement à Yseult.

          Avachie dans la canapé adjacent, elle ne regardait même pas l'écran, trop concentrée sur son magazine qu'elle daigna mettre de côté pour lui accorder toute son attention.

- Giovo ? Qui est-ce ?

- Le garçon qui était avec Kaizzar.

- Oh, lui. Il est enfermé dans un établissement spécial jusqu'à ce que quelqu'un trouve un remède à son état. D'après ce que j'ai entendu, tout un tas de sortilèges l'entourent pour l'empêcher de s'enfuir et de venir te trouver. L'influence de Kaizzar est terrifiante. Heureusement qu'il n'a pas réussi à te faire subir la même chose.

          Ainsi, l'ordre du mage continuait de faire effet. Heureusement, en effet, qu'il n'était pas parvenu à ses fins. S'imaginer obéir aveuglément à ses ordres jusqu'à ce qu'il l'arrête ou lui donne de nouvelles instructions la fit frissonner. Et si le garçon était conscient ? Et s'il était bien réveillé dans sa tête et voyait et entendait ce qui se passait actuellement autour de lui ? Il devait ressentir une si grande détresse. Peut-être avait-il même déjà abandonné tout espoir de guérison et qu'il s'était résigné à survivre comme un fantôme.

- Il a de la famille ?

- Personne n'a été trouvé pour le moment. Giovo n'est peut-être même pas son vrai non, tu sais. Ne t'inquiète pas, Travia fait tout pour aider les victimes de Kaizzar.

          La jeune fille le savait. Combien de fois le lui avait-on assuré en deux jours ? Elle avait perdu le compte. Mais tant qu'il était libre, Kaizzar continuerait d'en faire, des victimes. Il avait sûrement déjà trouvé une nouvelle personne vulnérable, un enfant comme elle, sans famille, sans amis, une proie facile en quête de soutien et d'approbation qui se pliera en quatre pour satisfaire les exigences du mage. A la télé, son portrait n'était pas celui d'un criminel. Son sourire, qu'elle savait faux, le faisait passer pour quelqu'un... d'ordinaire. Aimable, avenant. Elle craignait que personne ne prenne la menace au sérieux.

          La nuit dernière, elle avait rêvé qu'il réapparaissait, qu'il la poursuivait partout, où qu'elle soit sur AutreMonde ou sur Terre. Dans ses cauchemars, il la retrouvait constamment. A chaque rencontre, elle perdait un membre, un oeil, quelqu'un de son entourage. Elle s'imaginait incapable de prononcer le moindre mot alors qu'elle essayait de prévenir les gens, mais tout le monde s'agaçait et partait. Elle se voyait comme Giovo, une poupée à l'extérieur, emprisonnée à l'intérieur. Autant dire que son sommeil n'avait pas été réparateur et que ses cernes en attestaient.

- Romulée !

          L'entrée aussi brutale que bruyante d'Iskander la fit bondir du canapé. Il esquiva habilement le coussin qu'elle lui envoya tout en continuant :

- J'ai besoin d'aide, c'est urgent ! Viens avec moi !

          Elle lança un regard curieux à Yseult qui se contenta de hausser les épaules avant de replonger dans sa lecture. Alors Romulée suivit son cousin au trot, se demandant ce qui pourrait bien être aussi important pour le mettre dans cet état. Et surtout, comme elle pourrait l'aider elle, plutôt qu'un autre membre de la famille. Au pas de course, il traversa la moitié du rez-de-chaussée jusqu'aux cuisines qu'il ouvrit en grand.