Chapitre 10

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          L'aube venue et représentée sur les murs par le Château la veillant sans relâche, Romulée n'avait toujours pas bougée de sa place, figée au-dessus du livre qu'elle n'avait pas refermé et dont elle parcourait encore les lignes, terrassée par ses découvertes. Malgré les nausées que lui causaient ce chapitre, elle ne pouvait s'empêcher de le relire inlassablement comme si cela pouvait en changer le contenu ou faire soudainement apparaître une solution. Mais il n'y en avait aucune. L'auteur le répétait assez lui-même. Et non seulement cela, mais il s'était également gardé de mentionner ces fameux et horribles sortilèges ou les moyens utilisés pour contrôler les victimes afin d'éviter que qui que ce soit les utilise.

          Ses yeux brûlaient, autant de fatigue que de larmes, celles-ci coulant silencieusement le long de ses joues, passant ses lèvres mordues jusqu'au sang pour se glisser dans son cou. Ses mains, la gauche agrippant la table de sa force moindre, la droite froissant presque les pages du tome, avaient les jointures blanches et tressaillaient par moment. Bien qu'elle s'efforça de conserver une respiration calme et régulière, elle était parfois hachée d'un sanglot étranglé qui secouait tout son corps. Elle ne détourna son regard qu'en entendant son cristal sonner dans sa poche. Mécaniquement, elle l'attrapa, prit le temps d'essuyer son visage de sa manche en espérant pouvoir faire bonne figure, puis le leva devant elle.

          Son visage se tordit en une horrible grimace mêlant rage et mépris en voyant qu'il s'agissait de Maître Kaizzar. Evidemment, il ne pouvait pas s'empêcher de l'appeler aux premières lueurs du jour. De fureur, elle faillit briser son unique moyen de communication, levant déjà le bras au-dessus de sa tête en visant le sol mais, alors qu'elle amorçait le mouvement, elle s'arrêta de justesse. Quel bien cela lui ferait-il ? Ce n'est pas ainsi qu'elle pourrait lui échapper de toute façon. Ou qu'elle soit sur AutreMonde, elle avait le pressentiment qu'il serait tout de même capable de la trouver et de la tirer derrière lui pour de nouvelles expériences sans lui laisser la moindre chance.

          N'essayant même pas de masquer ses sentiments envers lui, elle décrocha, retroussant la lèvre en un rictus dégoûté lorsque son visage apparut.

"Heureuse de me voir à ce que je vois."

          Il plissa les yeux pour l'examiner, puis ricana.

"Dans quel état tu es. Seuls les faibles peuvent se permettre de pleurer. Tu t'es encore disputée avec tes petites copines, c'est ça ? Ou tu n'as pas aimé une lettre de ton frère ? Ah, suis-je bête. Elles ne peuvent pas te parvenir sans mon accord."

          La satisfaction dégoulinant de sa voix donnait à Romulée l'envie de vomir. Mais elle comprenait, maintenant, pourquoi il était si sûr de lui et si serein. Elle repensa aux esclaves edrakins et à la description de leur état, bien trop semblable au sien le jour précédent. C'était peut-être ce qu'il comptait faire, lui retirer toute humanité pour qu'elle ne vive plus qu'à travers ses ordres, à travers lui. Elle ne serait alors pas différente d'un golem ou d'une marionnette.

"Nous avons du travail. Dépêche-toi de rappliquer, que je puisse estimer les dégâts du mois passé."

- Oui, Maître, grinça-t-elle.

          Sans attendre de réponse, elle lui raccrocha au nez et ce n'est qu'après avoir rangé les livres empruntés qu'elle quitta la bibliothèque pour le terrain d'entraînement préféré du Haut-Mage. Un lieu qui aurait également dû la faire réfléchir bien plus tôt. Le cercle de sable faisait partie d'un ancien complexe sportif de la capitale ouvert aux publics, et si les athlètes, les soldats et Premiers Sortceliers pratiquaient autrefois leur art respectif à cet endroit, avec n'importe quel sportif amateur, il avait fini par tomber en désuétude alors que des locaux plus grands et mieux équipés étaient créés pour chacun de ses groupes. Le public cessa presque complètement d'y venir à partir du moment où un nouveau complexe fut inauguré dans un quartier voisin.

Romulée Potter : MearahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant