Les autres jeunes les rejoignirent ensuite, puis l'on disposa quatre tables en carré, comme on le faisait pour chacune des réunions des treize adultes que comptait la communauté. Nénon s'installa le premier puis invita les autres à le rejoindre et immédiatement, tous s'assirent autour des tables. Lorsque le dispensaire avait ouvert, des années plus tôt, Nénon s'était demandé ce qu'il pourrait apporter à l'endroit. Sa fille, Arnène, était une guérisseresse extraordinaire et ses aptitudes en médecine la vouaient logiquement aux soins des malades, mais lui, quelle serait sa place, son utilité ? Il l'ignorait en ces temps et ainsi, il avait commencé par aider à droite à gauche ceux qui en ressentaient le besoin, les précepteurs, dans leurs leçons, les cultivateurs, aux champs ou encore les ouvrageurs, dans leurs travaux. Puis très vite, il s'était chargé de représenter le dispensaire lorsque quelque autorité du village de Sentelles en convoquait un responsable ou lorsque des visiteurs se présentaient au carré et ainsi, il était progressivement apparu qu'il était le plus à même de prendre les rênes du dispensaire et d'en devenir l'intendant en quelque sorte. Pour autant, Nénon n'était pas que cela, il était aussi l'âme du dispensaire, ou comme son ami Gomoroa aimait à la dire parfois, le père du dispensaire. Il y faisait régner une atmosphère paisible et bienveillante, par ses mots gentils, ses conseils avisés ou même ses plaisanteries. Il donnait aussi confiance, rassurait et rendait chacun meilleur. Tous l'aimaient ainsi profondément et savaient qu'il était quelqu'un de bien, quelqu'un de bon. Et en ce jour grave, c'était à lui, le père de sa communauté, qu'il revenait d'annoncer à tous quels dangers le dispensaire courrait.
Nénon se racla la gorge afin d'obtenir le silence. Il parcourut ensuite l'assemblée du regard puis une fois assuré qu'il n'y avait pas d'absent, il débuta :
-Le Roi Constanton, vous le savez, fut pour notre dispensaire un véritable protecteur, nous défendant avec vigueur, année après année, face à tous ceux qui cherchaient à nous nuire. Ainsi, lorsque la corporation des précepteurs demanda à ce que nous cessions d'enseigner, Constanton le leur refusa. Il fit de même lorsque la Sainteté voulut obtenir que nous ne puissions plus héberger de démunis ou d'orphelins, et plus récemment, il se plaça à nos côtés lorsque la corporation des médecins voulut faire interdire à Arnène de soigner des malades. Et plus important encore que tout cela, lorsque des cordonniens exaltés et enragés attaquèrent le dispensaire, Constanton envoya ses gardes à notre secours !
Nénon marqua une courte pause dans son discours, et à cette occasion, l'expression de son visage s'assombrit davantage encore qu'elle ne l'était déjà.
-C'est donc un fait, poursuivit-il, nous devons à cet homme d'avoir toujours pu continuer à héberger, nourrir, soigner et enseigner ici, au dispensaire et sans lui, notre communauté ne serait plus, c'est une certitude !
La voix de Nénon se serra.
-Cet homme providentiel pour nous est mort hier et Arnène et moi ignorons si le Roi Orason aura les mêmes dispositions que son père à notre égard. Il nous faut donc...
L'émotion empêcha le vieil homme d'achever sa phrase et Arnène poursuivit alors à la place de son père.
-Il nous faut donc nous préparer, car il est possible que nous ne pouvions compter que sur nous si une nouvelle attaque survenait !
À ces mots-là, l'effroi saisit l'ensemble des présents, qui se regardèrent les uns les autres, jusqu'à ce que Joallo ne prenne la parole :
-Il nous faut acquérir des armes pour nous défendre, s'exclama-t-il, des lances, des glaives, des arcs, des flèches !
Nénon se leva avec fracas, une expression de dégoût sur le visage.
-Le dispensaire est un sanctuaire qui ne sera pas souillé par les propres membres de sa communauté ! s'écria-t-il avec passion. Aucun parmi nous n'y fera donc entrer d'arme !
-Nos agresseurs le feront bien, lança Maliquon.
-C'est vrai, tonna Irisa, ceux qui attaqueront le dispensaire seront armés et si nous ne le sommes pas nous-mêmes, nous nous ferons tous massacrer !
Joallo tapa du poing sur la table.
-On ne va tout de même pas se laisser égorger comme des moutons, sans nous battre ! hurla-t-il.
-Non, riposta Arnène, mais l'on ne se transformera pas en loups pour autant !
Le visage de la guérisseresse, l'espace d'un instant, se contorsionna de répugnance à cette idée.
-La Nidie, le pays où j'ai grandi, poursuivit-elle, n'a jamais été conquis parce que les Nidiens en ont fait une forteresse imprenable. Faisons comme eux !
Arnène se tourna vers Ézio, qui en tant que génieur du dispensaire, était le plus à même de juger du bien-fondé de cette proposition.
-Nous ne ferons jamais du dispensaire une forteresse, déclara ce dernier après une courte réflexion, mais avec quelques aménagements bien pensés, nous pourrons le rendre vraiment difficile à prendre par de simples émeutiers.
-Fort bien, sourit timidement Nénon. Voilà donc la voie que nous suivrons !
Emli, la préceptrice de lettres, intervint alors.
-Avec les menaces qui pèsent sur le dispensaire, je suis d'avis qu'on éloigne les enfant d'ici, au moins pour un temps, proposa-t-elle.
Soren posa sa main sur celle de sa femme.
-Je suis d'accord avec Emli. Il faut éviter que les enfants ne soient présent au dispensaire en cas d'attaque!
-C'est mon avis également, ajouta Fline, la petite Madéone endormie dans ses bras.
-Et le nôtre à tous, intervint Senia, mais où voulez-vous donc envoyer tous les enfants ? À la paternerie, où ils seront maltraités comme tant d'orphelins?
Tous refusèrent unanimement cette hypothèse.
-Notre dispensaire est le seul foyer des enfants et notre communauté leur seule famille et nous ne leur en trouverons pas subitement de nouveaux, comme par enchantement ! se désola Nénon. Les enfants resterons donc ici, parmi nous, parmi les leurs.
Le père du dispensaire lança tour à tour un regard à chacun des membres de l'assemblée et tous acquiescèrent à sa décision.
-Il est également à redouter, outre une éventuelle attaque, poursuivit le vieil homme, que le Roi Orason n'accède aux requêtes de nos ennemis et ne nous impose de cesser de professer, de soigner, ou même d'héberger des orphelins ou des démunis.
-Ou qu'il nous impose de fermer complètement nos portes, ajouta Arnène.
-Que pourrions-nous faire dans ce cas-là, demanda Josian avec crispation.
-Oui, que pourrions nous faire si cela arrivait ? répéta Damiène.
-Rien du tout ! gronda Gomoroa. Il faudra fermer. Et ce sera alors la fin de notre belle aventure, la fin du dispensaire et la fin de notre communauté !
Le Librecostien, une fois ces mots prononcés, se leva puis se posta entre Arnène et Nénon, qu'il prit tous deux dans ses bras. La discussion se prolongea ensuite encore un peu. On chercha des solutions qui n'existaient pas. On fit des propositions qui ne résolvaient rien. Puis l'on se sépara et chacun retourna vaquer à ses occupations habituelles en tâchant de ne pas trop penser aux périls qui menaçaient le dispensaire.
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Les Deux Monarques (Tome 1 De La Saga "La Prochaine Civilisation")
FantasyMille ans après l'effondrement de notre civilisation, à ÉrineVil, capitale de la GranQarélie, la mort du Roi Constanton de NobleVal engendre la montée sur le NobleTrône de son fils Orason. Mal préparé à régner, celui-ci devra composer avec le deuxiè...