Chap. 5: Le cordonnisme (part. 1)

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Chapitre 5

Le cordonnisme



En pénétrant dans le granvestibule du Palais Royal, ce matin-là, le Prélat Valeran se trouvait dans de merveilleuses dispositions d'esprit. Il était en effet fort doux pour lui que de savoir qu'il allait plusieurs mois durant s'occuper de l'enseignement religieux du jeune Roi et que celui-ci y ferait preuve d'assiduité et de sérieux afin d'obtenir sa maturité au plus vite. C'était une petite revanche qui avait un goût des plus sucrés pour le vieux religieux, car durant des années, Orason l'avait allègrement fait tourner en bourrique, ne venant à ses leçons que quand l'envie lui en prenait et les perturbant systématiquement lorsqu'il était présent. Valeran était également plein d'espoir en songeant à la mission que lui avait confiée le GranCordon Aron, faire de Sa Noble Altesse un Roi Pieux. Il n'était pas bien sûr de parvenir aussi loin que cela, mais pour le moins, il se savait capable d'amener le jeune Roi à se conduire et à gouverner en faisant preuve de davantage de piété, ce qui au fond, serait déjà un immense pas que ferait alors le Royaume sur la voie du Bénicieux. Alerté par des bruits de pas, le Prélat leva les yeux vers le grandescalier.

-Quatre salutations, Votre Noble Altesse ! lança-t-il au jeune Roi, qui descendait les marches deux à deux.

-Quatre salutations, Votre Sainte Grandeur ! lui répondit Orason, un sourire feint aux lèvres.

-Si Sa Noblesse est prête, poursuivit le Prélat de l'allégresse plein la voix, nous pouvons partir de ce pas.

-Oui, allons donc! s'écria le jeune Roi, tout en se lamentant intérieurement quant à la cruauté de l'existence.

La première journée d'étude religieuse d'Orason allait débuter par une promenade à pied dans le Bois Royal, en tête-à-tête avec le Prélat Valeran. Le religieux en avait fait la proposition quelques jours plus tôt et Orason avait accepté cette dernière bien malgré lui, car l'oncle Flavian s'était montré très ferme à son égard, lui imposant d'accéder favorablement à toutes les requêtes du Prélat. Le jeune homme se trouvait donc au comble du désespoir ainsi que de fort mauvaise humeur, mais, tout Roi qu'il était, il dut ravaler sa frustration pour faire bonne impression au vieux religieux.

Les deux hommes sortirent du Palais Royal du côté des jardins, suivis de leurs escortes respectives, deux gardes pour le Roi et deux frères pour le Prélat. Le groupe longea ensuite l'arrière du Palais jusqu'à atteindre les écuries, qu'ils contournèrent. Là, ils empruntèrent le pont qui enjambait la Serenne, la rivière qui traversait ÉrineVil, puis ils s'engagèrent sur la longue allée du Bois Royal. Sur leur droite, ils purent admirer les palais des ministres, tous majestueux, tandis que de l'autre côté de l'allée se trouvaient les palais particuliers des autres Nobles d'ÉrineVil, plus modestes quant à eux. L'allée courrait jusqu'à la muraille de la ville. Une fois à son pied, Orason et Valeran empruntèrent la Porte du Roi que les soldats de garde leur ouvrirent. Ils longèrent ensuite un chemin pavé sur deux centaines de mètres puis ils se trouvèrent à l'orée du bois. En cette saison, les houppes des arbres étaient nues et un fin tapis de feuilles mortes, qui débordait ici ou là sur le chemin, s'était formé à leurs pieds. Tout était ainsi brunâtre dans le bois : les troncs, les branches, les feuilles mortes, le chemin de terre. Et tout était calme et silencieux, seuls les pas du Prélat ainsi que ceux du Roi se faisant entendre. Valeran, comme à son habitude, portait sa soutane rouge carmin, sa calotte de la même couleur, attachée à ses longs cheveux gris, ainsi qu'une ample chape qui lui arrivait jusqu'à mi-genoux. Le Roi Orason avait également revêtu son épaisse cape, bleue roi le concernant, et s'y était emmitouflé afin de contrer le froid qui était agressif ce matin-là. Les deux hommes étaient alors semblables à deux tâches de couleurs vives qu'un peintre étourdi avait laissé choir sur une toile représentant un paysage hivernal. Derrière eux, les vêtements noirs des deux gardes et des deux frères se fondaient mieux dans le décor, à tel point que le Prélat et le Roi oublièrent bien vite jusqu'à leur présence.

Les Deux Monarques (Tome 1 De  La Saga "La Prochaine Civilisation")Où les histoires vivent. Découvrez maintenant