Chap. 7: Le Conseil Royal (part. 3)

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 Aliénorin d'Onneroques se racla ostensiblement la gorge et tous posèrent alors leur regard sur lui. Le Ministre de la Perception avait le nez long et massif, des yeux qui semblaient sortir de leurs orbites ainsi que des joues creusées et parsemées irrégulièrement de poils épars formant difficilement une barbe. La longueur de ses cheveux grisonnants ne parvenait quant à elle que très difficilement à masquer le dégarnissement de son crâne. Tout cela, ajouté à sa petite taille ainsi qu'à sa silhouette malingre, donnait l'impression que le Ministre souffrait de quelque mal, mais la vérité était que le Bénicieux l'avait simplement fait vilain, comme il l'affirmait lui-même sans aucune gêne.

-Le montant de la dette de la Couronne est gigantesque, déclara d'Onneroques, de l'ordre de douze-mille milliers de qarlins d'or.

Il lança un regard à chacun des Ministres afin de recueillir leurs réactions et seul le Ministre des Troupes de Vorsanges lui sembla alors soucieux et préoccupé.

-Cela a pour fâcheuse conséquence que la Couronne doit chaque année régler un montant d'intérêts faramineux à ses créanciers, cinq-cents milliers de qarlins d'or l'année dernière, soit un douzième du budget ! Il s'agit là d'une véritable fortune qui oblige la Couronne à renoncer chaque année à d'utiles dépenses ainsi qu'à s'endetter toujours davantage.

-En plus de cela, une partie non négligeable des intérêts versés viennent remplir les coffres de nos chers voisins îldorois ! ajouta le GrandAviseur Flavian.

-Ainsi que ceux de quelques argenteux Probes, pointa du doigt Gordion de BonneTerre, que la richesse de certains membres de la Probité insupportait.

-Ainsi que de ceux de tous ces Nobles qui prêtent à la Couronne à des taux très réjouissants pour eux ! plaça de Vorsanges sur un ton laissant à penser à une diatribe visant l'un ou l'autre de ses collègues.

De BonneTerre et de CaseNoble ne s'y trompèrent pas et lancèrent tous deux à leur voisin des regards acerbes.

-Quoi qu'il en soit, tempéra le Ministre de la Perception, tout cela doit cesser, et vite, Votre Noble Altesse, car si rien n'était fait rapidement, la Couronne ne pourrait bientôt plus honorer la totalité de ses obligations !

Tous scrutèrent la réaction du jeune Roi.

-Il n'est pas question que je laisse un tel déshonneur advenir ! s'exclama celui-ci. Pas sous le règne d'un Roi qui se veut audacieux ! Je suis donc à votre écoute, NobleSieur le Ministre d'Onneroques, qu'avez-vous à me proposer pour éviter cette catastrophe?

-Les Ministres de la Perception qui m'ont précédé ont tous essayé d'équilibrer le budget de la Couronne en cherchant à accroître les rentrées d'or ou de taxes, expliqua d'Onneroques. Ce que je vous propose de mon côté, et qui n'a jamais été tenté jusque-là, est au contraire de réduire les dépenses de la Couronne, comme le préconisent les argentologues en pareille situation !

-Encore ces maudits argentologues ! s'écria de BonneTerre sur le ton de la raillerie.

-Ils nous avaient manqué! ajouta de CaseNoble, un sourire plein de sarcasme sur les lèvres.

Le Roi Orason se leva soudainement.

-Veillez à cesser vos commérages gras, Vos Nobles Grandeurs, tonna-t-il, car le sujet qui nous occupe est des plus sérieux !

Il se rassit.

-La solution proposée par le Ministre de la Perception ne m'enchante guère, poursuivit-il, mais elle me satisfait toujours davantage qu'un défaut de paiement ! La Couronne réduira donc ses dépenses !

De BonneTerre et de CaseNoble furent complètement médusés par ce qu'ils venaient d'entendre, car ils avaient supputé jusque-là, à tort venaient-ils de réaliser, que le Roi Orason, que l'on disait de tempérament égal à celui de son père, réagirait de la même façon que lui aux discours catastrophistes d'Onneroques ainsi qu'à leurs plaisanteries à son encontre. Mais ce ne fut pas le cas et le choc en fut d'autant plus terrible pour eux. De son côté, le Ministre de la Perception souriait. Il souriait, car il tenait enfin sa revanche après toutes ces années durant lesquelles à chaque fois qu'il avait exposé ses vues en Conseil Royal, il avait dû essuyer moqueries et lazzis, tantôt du Roi, tantôt de de BonneTerre et de De CaseNoble, et parfois même de De SaintCieux qui y allait aussi de son quolibet de temps à autre. Mais il souriait aussi, car il était plus qu'heureux que les propositions qu'il portait depuis si longtemps allaient enfin être appliquées, pour le bien du Royaume.

Les Deux Monarques (Tome 1 De  La Saga "La Prochaine Civilisation")Où les histoires vivent. Découvrez maintenant