Chap. 5: Le cordonnisme (part. 6)

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 Le soir venu, lorsque le Prélat se présenta dans la chambre royale, Orason, las de cette longue journée, s'agenouilla immédiatement au pied de son lit afin d'en finir le plus rapidement possible.

-Je présume que vous avez énormément de fautes à me confier, Votre Noble Altesse, lança le religieux avec une pointe d'amusement, car votre dernière confession date d'il y a si longtemps que je ne parviens même pas à m'en rappeler!

Le jeune Roi garda le silence, jugeant cette stratégie préférable. Le Prélat lui intima ensuite de commencer à confesser ses fautes dans l'ordre dans lequel elles lui viendraient et Orason avoua alors un méchant mot dit à sa sœur Léone, puis un caprice qu'il avait fait le mois précédent lorsqu'il avait fait chercher une valette de cuisine chez elle en pleine nuit, car il avait une envie irrésistible de flan au chocolat et que celle-ci réussissait ce dessert bien mieux que les autres valettes, et encore quelques autres fautes du même acabit. Puis il se tut et attendit.

-Je doute très sincèrement que vous n'ayez réalisé que de menues fautes de ce genre ! finit par s'exclamer Valeran sur un ton empli de contrariété.

Il resta ensuite silencieux quelques instants afin de laisser l'occasion à Orason de donner plus de consistance à sa confession, mais celui-ci demeura muet comme une carpe.

-Après une éprouvante journée comme celle-ci, finit par maugréer le Prélat, la mémoire de Sa Noble Altesse lui fait certainement défaut mais sans doute fonctionnera-t-elle mieux dans les jours prochains. Enfin je l'escompte vivement en tout cas !

-Certainement, Votre Sainte Grandeur, certainement, répondit Orason.

Sur ces mots, le Prélat se retira, puis prit la direction de son Palais, certain, au vu de toutes les rumeurs qui étaient parvenues jusqu'à ses oreilles au fil des ans, que le jeune Roi lui cachait des fautes bien plus graves que celles qu'il n'avouait bien volontiers. De plus, sa longue expérience des confessions lui indiquait aussi qu'il avait affaire à un esprit bien stratège avec le Roi Orason et qu'il lui faudrait plusieurs mois pour percer à jour son âme de fauteur dans son entièreté. Tout cela promettait donc une confrontation des plus épiques, se dit le Prélat avant de s'en réjouir avec allégresse, car il s'en savait déjà vainqueur puisqu'il disposait de tout le temps du monde pour percer à jour son adversaire quand celui-ci avait besoin de se voir décerner sa maturité dans des délais brefs. Le temps jouerait ainsi tôt ou tard en la défaveur de ce dernier et l'obligerait à baisser les armes et à se confesser avec sincérité. Là arriverait alors le grand moment où il pourrait atteindre l'âme du Roi en ses profondeurs et y injecter toute la piété qu'il serait possible d'y placer !

Couché dans son grand lit et emmitouflé sous ses couvertures, Orason ressassait les mots du Prélat, qui, clairvoyant, avait vu avec une certaine justesse qu'il avait une ribambelle de fautes à confesser ! Des fautes auxquelles il avait pensé quelques temps plus tôt alors qu'il n'avouait que des sottises au religieux, mais qu'il s'était évidemment bien gardé d'évoquer ! Il n'avait pu faire autrement, car s'il avait avoué au Saint-homme tous les maturitères ainsi que toutes les transgresseries qu'il avait commis, sans oublier le reste, la fois où il s'était secoué dans la chapelle royale puis s'était répandu sur l'autel, la fois où il avait fessé le derrière de Bonine avec son bréviaire ou encore la fois où il lui avait demandé de louer le Malicieux tandis qu'il la besognait, éh bien, le Prélat, horrifié, aurait à juste titre rechigné à lui décerner sa maturité dans des délais brefs. Orason se devait donc d'omettre ses fautes les plus choquantes, il n'en avait guère le choix, mais d'un autre côté, pour gagner la confiance du Prélat, il lui fallait lui donner à ronger quelques fautes bien croustillantes afin de lui faire croire que ses confessions étaient franches et complètes. Aussi Orason décida-t-il que dès le lendemain il s'attellerait à inventer toute une série de fautes fignolées avec soin et façonnées sur mesure à l'aide desquelles il bernerait son crédule confesseur. Et cette idée le réjouit tant qu'il en ricana à ne plus pouvoir s'en arrêter, seul dans son lit.

Orason repensa ensuite au cahier du Cordon Bonifason et le désir d'en parcourir les pages fut si fort qu'il se leva puis gagna son cabinet afin de le récupérer. Une fois de retour dans son lit, il commença à feuilleter l'ouvrage à la lumière de sa bougie et ce faisant, il découvrit petit à petit les différents membres du dispensaire ainsi que les fautes qui leur étaient reprochées. Celles-ci allaient de la plus basique menterie ou bruterie jusqu'à des fautes autrement plus graves qui relevaient sans ambiguïté aucune de la corromperie. Mais quoi qu'il en était, Orason ne s'intéressa bientôt plus qu'aux fautes commises par un certain Gomoroa, car celles-ci concernaient presque toujours les affaires charnelles. Des dizaines et des dizaines de notes indiquaient ainsi que l'homme avait fréquenté une chemineuse, quelques autres qu'il avait fréquenté un chemineur et certaines qu'il avait cheminé lui-même, et avec des hommes de qui plus était. D'autres notes, en plus de tout cela, l'accusaient de défendre publiquement la culonnerie et la boutonnerie qui étaient pourtant considérées comme de graves déviances par le troisième ordonnement. Curieusement, et bien que toutes ces fautes étaient de nature à condamner cet homme à mort, elles rendirent ce Gomoroa extrêmement sympathique aux yeux d'Orason, qui réalisa qu'il ne souhaitait pas le voir exécuté, ni aucun autre membre du dispensaire par ailleurs. Mais que pouvait-il bien faire contre ça ? Orason n'en eut pas la moindre idée et il décida donc simplement d'en parler avec sa mère le lendemain, en espérant qu'elle pourrait intervenir d'une manière ou d'une autre en faveur des membres du dispensaire.

Les Deux Monarques (Tome 1 De  La Saga "La Prochaine Civilisation")Où les histoires vivent. Découvrez maintenant