Dans le cabinet royal, une fois seul avec son oncle, Orason tira les conclusions de ce que la guérisseresse Arnène venait de leur apprendre à tous les deux.
-Pour faire le coup, l'empoisonneur se sera nécessairement trouvé seul en compagnie de Père au courant de ses dernières vingt-et-quatre heures ! déclara-il.
-C'est tout à fait cela, confirma Flavian, et il nous faut donc établir la liste de tous ceux qui ayant bénéficié d'un aparté avec Constanton, ont eu la possibilité de l'empoisonner.
-Les gardes royaux ont surveillé les appartements de Père en permanence durant les jours ayant précédé sa mort, fit remarquer Orason. Ils devraient donc sans grand mal se rappeler quelles personnes se sont retrouvées seules avec lui durant ses dernières heures !
-C'est vrai, s'écria Flavian. Je vais donc demander sur le champ au commandant VilFort d'interroger ses gardes royaux et de me transmettre aujourd'hui encore une liste de suspects. Et dès demain, à l'aube, des équipes de gardes investiront les domiciles de chacun d'entre eux dans le but de procéder à des interrogatoires ainsi qu'à des inspections. Et si le Bénicieux le veut, nous apprendrons rapidement qui a empoisonné Constanton !
Ces mots prononcés, Flavian quitta les appartements royaux afin de confier sa mission au commandant VilFort, puis il sortit du Palais Royal d'un pas pressé en direction des écuries. Une fois sur place, il se saisit de la première monture qu'il trouva puis s'élança au grand galop à travers le QuartNoble, traversant le pont de l'ancienne muraille puis empruntant l'allée du bois royal. Au milieu de celle-ci, il bifurqua sur la gauche à si vive allure que le cheval glissa et manqua de peu de chuter, mais cela ne rendit pas pour autant le GrandAviseur plus prudent, car le besoin de savoir le brûlait, le consumait de l'intérieur. Il galopa à bride abattue sur quelques centaines de mètres de plus jusqu'à arriver au devant du palais particulier de la famille de NobleBaie, où il démonta en vitesse.
La famille de NobleBaie était une vieille famille noble d'ÉrineVil dont les premiers nés avaient occupé l'honorable fonction d'intendant du Palais Royal durant plusieurs siècles, jusqu'à ce que quelques années plus tôt Apolin de NobleBaie, l'actuel chef de la famille, ne prenne sa retraite sans fils pour lui succéder. Flavian connaissait bien cet homme qui des décennies durant avait passé ses journées à arpenter le Palais Royal en tâchant de satisfaire les moindres exigences du Roi et de la Reine. Il connaissait aussi un peu sa femme, Filipène, qui aidait parfois son mari au Palais. Néanmoins, la dernière fois que Flavian les avait rencontrés revenait à fort longtemps, car Apolin et Filipène de NobleBaie ne quittaient plus leur palais particulier depuis la mort tragique de leur fille unique survenue une dix-et-cinquaine d'années plus tôt. Flavian l'avait connue elle aussi, la petite Gabine. Elle accompagnait souvent son père au Palais, enfant, et avec la NoblePrincesse Jane, dont elle était la meilleure amie, elle aimait à se promener dans les couloirs du Palais en riant avec espièglerie. Toutes deux, en ces temps, appelaient Flavian « Mon bon oncle » et appréciaient de lui rendre visite dans ses appartements afin qu'il ne leur raconte de jolies histoires de princesses. Avec les années, en grandissant, Gabine de NobleBaie était devenue une jeune femme d'une rare beauté, ce qui n'avait échappé à aucune homme du QuartNoble à l'époque, et surtout pas à Constanton !
Celui-ci, en ces temps, avait débarqué un matin, à l'improviste, dans les appartements de Flavian et sans ménagement aucun, il lui avait avoué que Gabine de NobleBaie était sa maîtresse, qu'elle attendait un garçon de lui d'après le parchemin d'augure qu'elle lui avait remis et qu'il comptait prendre toutes les dispositions nécessaires à ce que l'enfant devienne son héritier. Flavian avait alors fait remarquer à son frère aîné que ce garçon ne serait reconnu comme son héritier légitime que s'il épousait la petite de NobleBaie très rapidement, de manière à être en capacité d'avancer par la suite que l'enfant avait été conçu après le mariage. Or, même s'il répudiait la Reine Quentine dans l'heure, il n'en restait pas moins que les lois cordonniennes imposaient à tout veuf ou veuve une année d'attente avant de pouvoir se remarier, ce qui signifiait qu'il lui faudrait obtenir du GranCordon Aron lui-même l'autorisation de déroger à cette règle ancestrale, ce que le Saint des Saints s'empresserait de lui refuser. À la grande surprise de Flavian, Constanton n'ignorait rien de tout cela et avait d'ores et déjà prévu de partir pour VilDieu le lendemain avec la ferme intention d'arracher au GranCordon Aron l'autorisation de se remarier dans le mois. Ce qu'il attendait de son frère cadet était simplement une idée qui lui permettrait de faire plier Aron et Flavian, qui savait pertinemment qu'il lui serait impossible de faire entendre raison à son buté d'aîné, s'était contenté de lui indiquer par quelle manœuvre il pourrait parvenir à ses fins. Quelques jours plus tard, Constanton était revenu de son voyage à VilDieu heureux, avec l'accord du GranCordon, et il avait chaleureusement remercié son frère pour son aide. Ce qu'il ignorait cependant à ce moment-là était que le matin même de son retour, Gabine de NobleBaie avait été retrouvée morte dans son lit.
Dès l'instant où Constanton avait appris l'horrible nouvelle de la bouche de Flavian, il avait nourri la conviction profonde que sa maîtresse avait été empoisonnée afin de l'empêcher de mettre au monde son héritier. Il avait alors tenté de diligenter une enquête et de faire examiner le corps de la petite, mais le couple de NobleBaie s'y était refusé, si bien que Constanton n'avait jamais pu obtenir la moindre preuve de ce qu'il avançait. Flavian, de son côté, n'avait pas cru un instant à la thèse de l'empoisonnement qu'il considérait comme rien de plus que des élucubrations d'amant éploré et selon lui, il était bien plus probable que la petite ait été frappée de quelque fièvre foudroyante. Il avait ainsi conseillé à Constanton de se ressaisir et de retrouver les couches de son épouse et quelques mois plus tard, la Reine Quentine était tombée enceinte à son tour et Constanton avait cessé de songer à ces histoires d'empoisonnement. Flavian les avait oubliées lui aussi, mais lorsque son neveu, dans la chapelle royale, lui avait révélé que son frère avait succombé à un empoisonnement, il avait immédiatement repensé à la belle Gabine et aux circonstances troubles qui avaient entouré sa mort. Depuis lors, une seule et unique chose ne comptait plus : savoir si le corps de Gabine de NobleBaie dégageait lui aussi une odeur d'amande après sa mort!
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Les Deux Monarques (Tome 1 De La Saga "La Prochaine Civilisation")
FantasiaMille ans après l'effondrement de notre civilisation, à ÉrineVil, capitale de la GranQarélie, la mort du Roi Constanton de NobleVal engendre la montée sur le NobleTrône de son fils Orason. Mal préparé à régner, celui-ci devra composer avec le deuxiè...