Le soir venu, alors qu'Orason tournait en rond dans ses appartements en se rongeant les sangs, Flavian se présenta à nouveau dans le cabinet royal. Il tenait alors une feuille de papier dans sa main et la tendit à son neveu dès son arrivée.
-Le commandant VilFort est formel, déclara-t-il. Les noms de toutes les personnes s'étant trouvées seules avec Constanton au cours de ses vingt-et-quatre dernières heures figurent sur ce morceau de papier.
Orason parcourut la liste du regard.
-Mon nom s'y trouve inscrit, s'écria-t-il, ainsi que celui de Mère, de mes sœurs et le vôtre également.
-Effectivement, répondit Flavian, car nous nous sommes tous retrouvés seuls avec votre père à un moment ou un autre de son dernier jour.
-Voulez-vous dire par là, mon oncle, que vous envisagez qu'un des membres de notre famille ait pu empoisonner Père ?
-Non, affirma fermement le GrandAviseur, je ne pense pas une telle chose possible, sans le moindre doute !
Orason se leva puis s'installa face à son bureau. Il se saisit ensuite d'un stylon, le trempa dans l'encre puis ratura grossièrement la feuille de papier à plusieurs reprises avant de revenir s'asseoir face à son oncle.
-La liste ne compte désormais plus que de dix noms ! lança-t-il.
-Et l'un d'eux est celui de l'homme ou de la femme qui a empoisonné votre père pour le compte d'Aron, mais lequel de ces dix individus a-t-il fait le coup ? s'interrogea Flavian à voix haute. Un membre de la Sainteté serait le plus probable...
-La liste n'en compte qu'un seul, celui du Prélat Valeran, indiqua Orason. Le croyez-vous capable d'empoisonner Père ?
-Au premier abord, Flavian semble trop inoffensif pour s'en prendre à quiconque, déclara Flavian, mais ce genre d'impression n'est guère fiable, à l'évidence, car certains hommes sont capables de cacher leur essence profonde et peut-être le Prélat fait-il partie de ceux-là ? Regardez donc avec quelle constance déconcertante il a exigé l'arrestation de tous les membres de ce dispensaire alors qu'il savait pertinemment que cela conduirait nombre d'entre eux à la mort ! Cela prouve bien qu'il peut se montrer froid et sans scrupules ! Pour autant, ni l'inclination du Prélat à la cruauté ni le fait qu'il soit un Saint ne constituent des gages de sa culpabilité, car les autres ordres, et notamment la Probité, comptent eux aussi leur lot de fanatiques religieux tout à fait capables d'assassiner une femme enceinte ou un Roi s'il en recevait l'ordre du GranCordon Aron.
Orason abaissa le regard vers la feuille de papier.
-Sept des dix suspects sont des membres de la Probité, révéla-t-il. La liste compte, en plus des noms de trois valets de Père, ceux du médecin royal ProbeRond, du barbier royal ProbeCuistre, du cuisinier royal MestrelProbe ainsi que du sommelier royal ProbeChêne.
Il réfléchit quelques instants.
-ProbeRond aurait très bien pu empoisonner Père en faisant passer le poison pour quelque médicament, avant d'expliquer ensuite sa mort par quelque autre raison de son invention.
-Certes, répondit Flavian, mais il est également possible que le seul grief véritable que nous ayons à formuler à son encontre soit celui de l'incompétence. Et puis, le cuisinier royal aurait pu empoisonner la nourriture de Constanton, le sommelier royal son vin et le barbier royal son rasoir. Sans compter qu'il est bien possible qu'un des valets ait ajouté le poison à un repas ou à une boisson de votre père... Quels sont les deux derniers noms ?
Orason reposa les yeux sur la liste et sembla tout à coup surpris.
-Le premier d'entre eux est celui de Filipène de NobleBaie, s'étonna-t-il. Il s'agit de la mère de Gabine, n'est-ce pas ?
Flavian acquiesça.
-Pourquoi donc a-t-elle rencontré Père ? demanda Orason.
-Je l'ignore, répondit Flavian, mais je ne suis pas sans savoir qu'elle tient Constanton pour responsable de la mort de sa fille depuis toutes ces années.
-Cela aurait pu motiver son geste, fit remarquer Orason avant de se pencher à nouveau sur la liste. Le dernier nom est celui de la NobleDame Renégone de NobleTertre ! Qui est cette femme, mon oncle, et pourquoi a-t-elle rencontré Père peu avant sa mort ?
Flavian pinça les lèvres, se leva, puis s'approcha de son neveu avant de lui poser une main sur l'épaule.
-Renégone de NobleTertre était la maîtresse de votre père.
-J'ignorais que Père avait encore une maîtresse ! sursauta Orason.
-Seule la mort arrête les conquérants! soupira Flavian.
Il tapa à plusieurs reprises sur l'épaule de son neveu, doucement, de sa main.
-Mieux vaut ne pas veiller trop tard en nous triturant l'esprit avec de vaines conjectures, ajouta-t-il, car la journée de demain, avec ses inspections et ses interrogatoires, promet d'être fort éprouvante.
Et sur ces mots, il quitta le cabinet royal.
VOUS LISEZ
Les Deux Monarques (Tome 1 De La Saga "La Prochaine Civilisation")
FantasíaMille ans après l'effondrement de notre civilisation, à ÉrineVil, capitale de la GranQarélie, la mort du Roi Constanton de NobleVal engendre la montée sur le NobleTrône de son fils Orason. Mal préparé à régner, celui-ci devra composer avec le deuxiè...