Au dispensaire, après le départ de Bonine, Diène avait enchaîné les consultations durant toute la matinée. La plupart des patients qu'elle avait alors reçus souffraient de rhumes de sainte saison, mais Diène avait aussi dû s'occuper d'un enfant dont le pied était couvert de champignons, d'un menuisier qui s'était foulé la cheville, d'un jeune boucher qui s'était entaillé le doigt, ainsi que d'une NobleDame qui avait fait le déplacement en personne pour obtenir le mélange d'herbes miraculeux que concoctait Arnène pour soulager les menstrues douloureuses. Il était rare que des Nobles ou des Saints ne viennent se faire soigner au dispensaire, mais cela arrivait tout de même parfois, et de plus en plus ces dernières années, la réputation de guérisseresse de talent d'Arnène grandissant dans la capitale. En rangeant son matériel, en fin de matinée, Diène repensa à sa première patiente du jour, cette fille qui se trouvait enceinte. Elle n'avait que quoi, dix-et-quatre ou dix-et-cinq ans, et elle avait déjà couché avec un homme quand elle-même, qui en avait vingt, n'avait pas même encore embrassé de garçon, ne serait-ce qu'une seule fois. Il fallait dire que Diène était très occupée par ses études et n'avait guère le temps de s'intéresser à la gente masculine, et puis, au dispensaire, elle voyait davantage les garçons comme ses frères que comme de potentiels partenaires de vie. Restait ses patients. Diène se prenait parfois à espérer une déclaration d'amour ou un mot doux lorsqu'un gentil jeune homme se présentait au guérissoir, mais à son grand désespoir, tout ce qu'elle n'avait jamais récolté n'était que des mains aux fesses, des déclarations grivoises voire pire, des exhibitions hideuses.
Après le déjeuner, Diène retrouva Arnène et Irisa dans la cour du carré. Les deux femmes se trouvaient alors assises à l'avant de la charrette du dispensaire, qui était attelée à Grison. Diène grimpa à l'arrière et Arnène fit ensuite avancer l'âne vers la grande porte. Joallo, aidé de Rohène, y était occupé à renforcer la solidité des battants en y ajoutant de larges planches de bois. Lorsqu'il remarqua la charrette, il s'arrêta de travailler.
-Vous voulez sortir, demanda-t-il aux trois femmes.
-Non, on s'amuse à faire des tours de la cour, répondit Arnène, un sourire taquin aux lèvres.
L'ouvrageur éclata de rire.
-Alors j'ai pas besoin de vous ouvrir la porte, s'écria-t-il en feignant de reprendre son travail durant une seconde. La vervénoserie, c'est ça ? s'enquit-il enfin.
-Oui, après un arrêt à SaintRefuge, précisa Arnène.
-Soyez prudentes lorsque vous serez dans les parages de SaintVil, lança Joallo.
-Nous le serons, lui assurèrent les trois femmes.
L'ouvrageur plaça de côté les planches et les outils qui obstruaient le passage puis il signifia à Arnène, d'un geste de la main, que la voie était libre. La guérisseresse, du bâton qu'elle tenait dans sa main, donna une légère tape sur le derrière de Grison qui se mit immédiatement à avancer. La charrette quitta alors le dispensaire, traversa la cité de Sentelles puis emprunta brièvement la Route de l'Alliance avant de bifurquer vers l'est et de longer l'île au purgatoire. Quelques centaines de mètres plus loin, des habitations se laissèrent apercevoir sur la gauche de la route. Arnène, sans attendre, fit accélérer le train à Grison, car elle n'aimait guère s'attarder à proximité de SaintVil. C'était dans ce quartier-là d'ÉrineVil que l'on trouvait les cordonniens les plus zélés de la capitale et ceux-là haïssaient sans mesure les membres du dispensaire auxquels ils reprochaient leur supposée impiété. SaintVil avait été bâtie sur des terres qui appartenaient jadis à la Sainteté et qui, sous le règne du Roi Orel le Pieux, avaient été cédées gracieusement à de pauvres Érineviliens choisis pour leur haut degré de ferveur religieuse. Il était alors né ici, en quelques décennies, un quartier de cordonniens enragés prêts à combattre par la force tous ceux qu'ils soupçonnaient de ne pas suffisamment respecter les préceptes cordonniens. Et Arnène le savait, lorsque le dispensaire avait été attaqué quelques années plus tôt, la plupart des assaillants provenaient de ce maudit quartier.
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Les Deux Monarques (Tome 1 De La Saga "La Prochaine Civilisation")
FantasiMille ans après l'effondrement de notre civilisation, à ÉrineVil, capitale de la GranQarélie, la mort du Roi Constanton de NobleVal engendre la montée sur le NobleTrône de son fils Orason. Mal préparé à régner, celui-ci devra composer avec le deuxiè...