Chapitre 3

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Derrière son large bureau de bois sombre, madame Barbier la fixait avec intensité. Elle espérait peut-être l'impressionner. C'était une technique qu'elle avait appris à reconnaître à Saint-Joseph. Les profs ou les agents administratifs aimaient utiliser ce procédé : ils restaient un bon moment silencieux sans bouger, à la dévisager. C'était Virginie, la première, qui lui avait fait remarquer. Depuis, Valentina l'avait débusqué chez tout un tas d'adultes qui voulait la prendre de haut.

Pourtant, aujourd'hui, devant la principale du lycée Paul Éluard, elle n'avait pas tout à fait la même sensation. Le petit rictus sur le visage de la femme changeait tout. Soit elle n'était pas douée à ce jeu, soit elle ne voulait pas l'impressionner. Valentina décida d'attendre avant de juger.

La pièce dans laquelle elle se trouvait n'avait rien à voir avec le reste du lycée. La principale était une des rares à jouir d'une véritable vue sur le jardin des plantes, de l'autre côté de la rue. Dans les salles de cours, les fenêtres qui donnaient sur le parc étaient couvertes de films dépolis sur une moitié de la hauteur. Une fois assis en classe, il était impossible de profiter de la vue. Une façon comme une autre de focaliser l'attention des élèves.

Ici, c'était différent et Valentina ne put résister à la tentation de jeter un regard à l'extérieur. Elle repéra un jogger avec son chien et sourit.

— C'est la situation qui vous fait rire, mademoiselle Carasco ?

La réplique se voulait sarcastique, mais le ton n'y était pas. Valentina se contenta de secouer la tête. Elle porta ensuite son attention vers la photo du maire, sur sa droite, puis sur celle du Président de la République, toute proche. Valentina se demanda s'il était obligatoire d'accrocher ces portraits ou bien si madame Barbier était fan de ces deux politiques.

— Valentina Carasco, reprit soudain la principale. Vous êtes de retour parmi nous depuis dix jours et vous voilà déjà dans mon bureau au lieu d'être en cours. Trouvez-vous cela normal ?

— Je trouve surtout ça injuste, répliqua-t-elle avec une grimace.

La principale leva un sourcil circonspect, mais ne monta pas sur ses grands chevaux. Valentina ne l'avait pas vue bien souvent, même en seconde. Elle l'avait rencontrée en personne le jour de son retour dans l'établissement. Madame Barbier lui avait alors fait un joli discours sur la réinsertion, le fait que Valentina avait montré une belle insistance à suivre les cours, même à distance. Elle lui avait paru gentille et plutôt ouverte d'esprit. À présent qu'elle s'était fait viré de cours et se retrouvait face à elle dans un contexte bien moins flatteur, Valentina se demandait si elle allait rester ouverte d'esprit.

— En quoi est-ce injuste, exactement, mademoiselle ?

Valentina grimaça. Elle aurait voulu répondre d'une phrase cinglante du genre « ce prof est un abruti », mais devinait que ce n'était pas la tactique la plus fine ou la plus efficace pour avoir gain de cause. Elle se redressa donc sur sa chaise avant de faire son rapport.

Elle était en cours de mathématiques, avec monsieur Duverger, assis à côté de Sonia Lopez. Sa voisine parlait beaucoup et s'était lancée dans une diatribe au sujet de son ancien petit ami. La rupture datant du matin même, c'était récent et sa colère inversement proportionnelle au temps de célibat qu'elle avait connu depuis.

— Elle l'a traité de tous les noms pendant au moins vingt minutes, insista Valentina. Je ne savais même pas qu'on pouvait donner autant de noms à une personne. Elle l'a même traité d'analphabète des montagnes !

La principale sourit en ouvrant des yeux étonnés.

— Voilà ! déclara Valentina, victorieuse. Du coup, j'ai ri et ça n'a pas plus à monsieur Duverger.

Ombre et lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant