Chapitre 40

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Après une telle discussion, Valentina avait eu du mal à dormir. Le lendemain, elle avait aussi eu beaucoup de mal à se concentrer en cours. Par chance, c'était une journée plutôt manuelle. Courte, par-dessus tout. Ça ne l'empêcha pas de se perdre à plusieurs reprises dans ses pensées.

À tel point que Nelly lui demanda si ça allait bien avec son copain. Il lui avait fallu un moment pour comprendre pourquoi elle lui posait cette question. Tout allait très bien avec Nolan, précisa-t-elle. Elle n'entra cependant pas dans les détails et Nelly n'insista pas.

Lorsqu'elle retrouva Nolan, après ses cours, Valentina comprit que, même s'il avait décidé de sortir avec Francky ce soir, pour une seconde patrouille, il émettait toujours des doutes au sujet du faux prêtre. Il avait peur pour leur sécurité et s'inquiétait aussi de ce que le soi-disant prêtre leur cachait peut-être encore.

— Mais si tu dois remettre en cause chacun de ses actes, c'est pas la peine de faire semblant de lui faire confiance, déclara-t-elle. Laisse tomber et puis c'est tout !

Elle n'était pas en colère, mais cette hésitation permanente de son petit ami commençait à lui peser sur les nerfs. La discussion n'était cependant pas allée plus loin, car Nolan devait travailler. Valentina l'avait donc laissé devant le McDonald's et avait reprit le chemin de chez elle.

À présent, Nolan devait avoir terminé sa journée et s'être lancé dans sa seconde sortie avec Francky. Il était prévu qu'elle le retrouve chez lui ensuite. Comme la dernière fois, elle s'endormirait peut-être avant qu'il ne rentre. En attendant, elle révisait ses cours pour le lendemain en échangeant des textos avec Hervé.

Elle lui expliqua qu'elle n'était pas très rassurée de les savoir tous les deux dehors ensemble.

« T'as peur de quoi concrètement ? »

« Qu'il fasse une bêtise. Qu'il dise un truc de travers. Je sais pas trop en fait... »

« T'inquiète, Francky lui fera rien... »

Valentina éclata d'un rire nerveux, seule dans sa chambre. Non, Francky n'allait rien lui faire, elle le savait. Pour autant, cela ne la rassura pas. Elle expliqua à Hervé que son petit ami n'était pas du tout au clair avec cette histoire. Il ne connaissait pas le prêtre comme eux le connaissait. Il n'était pas attaché au personnage. Pas encore. Il serait peut-être bien capable d'aller voir la police pour leur parler de l'assassin déguisé en religieux.

« Non, il fera pas ça »

Valentina ignorait comment Hervé pouvait être aussi catégorique, mais décida qu'il était de toute façon inutile de s'inquiéter. Lorsqu'il rentrerait de sa ronde, Nolan aurait sans doute pris une décision sur ce sujet. D'ici là, le mieux qu'elle pouvait faire était de réviser, décida-t-elle.

Deux heures plus tard, alors que sa mère était enfermée dans sa chambre et que sa lumière était éteinte, Valentina décida qu'il était tant pour elle de rejoindre l'appartement de Nolan.

En arrivant, elle eut la surprise de découvrir Nolan allongé sur son clic-clac. Il était rentré avant elle, c'était donc que quelque chose avait mal tourné. Le dessinateur n'avait pas l'air en grande forme, aussi y alla-t-elle doucement pour découvrir ce qu'il s'était passé. Il ne fallut pas longtemps pour que Nolan lui explique qu'ils avaient eu une intervention. C'était le terme que préférait utiliser Francky lorsqu'il volait au secours d'une victime. Cette fois-ci, lui expliqua Nolan, ça n'aurait pas dû être très grave, mais Nolan avait fait ce qu'il avait longtemps fait dans le jeu Justices. Au lieu de frapper un coup et s'enfuir pour mettre la victime à l'abri, il avait insisté pour tabasser les agresseurs. Francky l'avait tiré d'affaire de justesse et ils s'étaient ensuite disputés. Nolan avait tenté de frapper le faux prêtre.

— T'as voulu t'en prendre à Francky ? T'es pas bien dans ta tête, coco ?

Valentina aurait aimé avoir un air de réprimande, mais un grand sourire lui barrait le visage.

— Je sais pas trop pourquoi j'ai fait ça, en fait. Je crois qu'il essayait de me pousser à parler.

— Et toi, comme un gros voyou que tu es, tu t'es exprimé avec tes poings, c'est ça ?

Cette fois, son visage reflétait mieux son véritable état d'esprit.

— Je ne suis pas un voyou. J'ai cru qu'il allait vraiment me frapper, je me suis défendu.

— En tout cas, tu as encore voulu régler ça par la violence. Et cette fois, tu ne peux pas dire que tu as essayé de protéger une victime. Tu en es conscient ?

Nolan acquiesça. Il était perdu, comprit-elle. Il ne savait pas ce qui n'allait pas chez lui et pourquoi il avait ce besoin de terminer un combat qu'il avait commencé. Alors, pour une fois dans sa vie, Valentina s'attribua le rôle de la psychologue. Elle en avait assez fréquentés pour savoir comment ils fonctionnaient en général. En théorie, c'était simple, il fallait poser des questions, encore et encore. Ce qu'elle fit. Et pourquoi ceci ? Et comment cela ? Et que ressens-tu ? Qu'est-ce que ça te fait ? Qu'espères-tu obtenir ainsi ?

Ainsi découvrit-elle que son petit ami n'était pas l'artiste maudit qu'elle avait d'abord cru découvrir. C'était lui aussi, tout comme elle un écorché de la vie. Mais là où elle avait décidé d'étaler son traumatisme au grand jour à qui voulait l'entendre, Nolan avait tout gardé pour lui.

Il avait été victime de racket, plus jeune. Trop faible pour se défendre, il avait alors commencé un sport de combat, la Capoeira. Ça, elle le savait déjà, il lui en avait parlé quelques temps plus tôt. Ce qu'elle découvrit cette nuit était la suite de son histoire. Celle qu'il avait tue pendant toutes ces années.

Alors qu'il était devenu bien plus fort et plus sûr de lui, il avait découvert qu'un autre enfant subissait des brimades et il était intervenu pour l'aider. Nolan avait alors eu l'impression d'être utile et d'avoir sauver ce jeune. La réalité fut tout autre. Le garçon s'était suicidé quelques mois plus tard. À ce moment, Nolan avait découvert que le harcèlement n'avait en réalité jamais arrêté. Les agresseurs s'en prenait au plus petit lorsque Nolan était ailleurs, voilà tout. Et comme il se devait, Nolan s'était senti responsable. À tort, bien entendu.

L'agression de Léa avait été un écho à toute cette histoire. Il avait voulu terrasser ses agresseurs et avait échoué. À cause de ça, il craignait qu'elle soit de nouveau agressée à un moment où il ne serait pas là, sans doute.

— Est-ce que tu as la moindre idée du nombre de prédateurs sexuels qui sévissent chaque jour ? demanda Valentina. Même en supprimant ces trois-là, il en reste encore bien assez pour nous empêcher toutes de dormir sereines ou de nous promener tard le soir.

— Tu aurais voulu que je ne fasse rien ? Que je la laisse dans la rue et que je tourne la tête, comme la plupart des gens ?

— Dis pas de conneries ! soupira-t-elle. Bien sûr que non. Mais il y aura toujours des sales types, qu'importe le nombre que tu mettras au tapis ou même que Francky tuera. Léa n'avait pas besoin que tu les éclates tous, je te signale.

— Et elle avait besoin de quoi alors ?

— Essaie de réfléchir, je vais pas tout te dire, Sherlock ! D'après toi, pourquoi Francky a tant insisté pour que tu l'appelles ?

Là encore, c'était une réponse de psy. Si elle lui donnait la réponse, cela n'aurait pas le même impact que s'il la formulait tout seul. Cependant, il avait besoin d'un peu plus de temps pour ça.

Ce qui était certain, conclut-elle cependant, était que son premier constat avait été le bon : Nolan n'était pas fait pour être un justicier. Pas tant qu'il n'aurait pas réglé cette histoire qu'il traînait avec lui.

Franck ne semblait pas lui avoir interdit de ressortir, il alla même jusqu'à l'inviter à ressortir, dans un message du lendemain matin. Valentina n'était pas emballée par l'idée, mais apporta tout de même son soutien moral au jeune homme. Il lui suffisait de se contrôler, déclara-t-elle.

C'était cependant loin d'être le plus facile, elle le savait très bien. Deux jours plus tard, Francky avait organisé le vernissage de la palissade. Un événement auquel il avait convié quelques notables de sa connaissance ainsi que des journalistes. C'était à cet événement que Nolan devait donner la priorité. Selon Francky, cela pourrait bien être un premier pied à l'étrier, si le public était conquis. Le reste n'avait donc pas autant d'importance. 

Ombre et lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant